Vous avez souhaité que s’instaure un grand débat. C’est précisément ce dont nous avons été privé à l’occasion de votre visite sur le sol de notre pays en février 2018. C’est également ce à quoi vous vous refusez avec les élus de la majorité en Corse. En somme, le peuple corse dans sa diversité ne vous apparaît pas un interlocuteur légitime. Dans la vie courante, pour qu’il y ait échange, encore faut-il que les protagonistes éventuels reconnaissent l’autre dans toute sa dimension. Ce n’est pas d’une courtoisie de salon dont il est question, mais de la prise en compte d’un souci majeur, celui qui consiste à mettre en acte cette parité sans laquelle le débat se résume à des monologues aussi vains que stériles. Vous voulez que cette démocratie, dont vous ne cessez de vous revendiquer, prenne sens. Ici sur la terre de Corse, cela exige que le peuple corse soit enfin reconnu et respecté en tant que tel.Cette condition surdétermine le rapport entre l’État français et toutes les composantes sociales de notre pays. Ne pas satisfaire à cette démarche consisterait de votre part à perpétuer ce déni qui est à la base de nos résistances et qui obère toute perspective d’une solution politique digne de ce nom.
Il est possible cependant que des personnes ou des groupes s’astreignent à réduire le débat aux quatre points que vous entendez proposer à la discussion. Ce ne sera alors pas la Corse qui fera entendre sa voix. Parmi ces éventuels participants, il se trouvera peut- être des femmes et des hommes aux conditions de vie extrêmement dégradées. Vous aurez alors à constater cette réalité d’une misère sociale endémique, si tant est que vous n’en ayez pas encore connaissance. Il en sera aussi d’autres qui viendront avec des recettes économiques qu’ils présenteront en tant que somme des intérêts de toutes les catégories sociales. Dans ce dernier cas, il sera question d’un statut fiscal adapté, de nouvelles baisses des charges sociales, voire de « l’aménagement » des lois LITTORAL et MONTAGNE. Compte tenu de vos prédispositions en matière de politiques économiques, il y a fort à parier que ces voix- là puissent être les seules à trouver un écho auprès de vous.
Il est bien possible également que se fassent entendre dans les cahiers de doléances, ceux qui auront trouvé pertinent et opportun d’aborder la question de l’immigration. En la matière, vous avez comme nombre de vos prédécesseurs, hélas de nouveau ouvert la boîte de Pandore. Ce calcul de basse politique tend encore une fois à détourner les colères et toutes les frustrations sociales de leurs véritables causes. Est-il encore besoin de vous signifier que ce ne sont pas les immigrés qui portent la responsabilité d’un chômage de masse, de l’injustice fiscale, des disparités entre les plus riches et le monde du travail, de l’évasion fiscale, de la flexibilité et des bas salaires ?
Chantre de la globalisation libérale, vous portez également au cœur de cette pseudo discussion le sujet de la dépense publique. Or, il se trouve que les politiques budgétaires que vous et votre gouvernement poursuivez se caractérisent par des attaques frontales perpétrées à l’encontre du service public socialement utile. Des milliers de postes sont ainsi supprimés par vos soins dans les hôpitaux pour ne citer que le secteur de la santé. Les zones rurales déjà affectées par la fermeture des services publics de proximité le seront encore bien plus, du fait de la nature de vos projets. C’est au mieux d’une tartuferie dont il s’agit car vous avez déjà pris des options qui vont à l’encontre du bien public.
Que dire de vos desseins en ce qui concerne les régimes de retraite et l’assurance maladie ? D’ores et déjà, vos mesures pénalisent lourdement les détenteurs de pensions de retraite. L’accès aux soins est gravement mis en cause par les non-remboursements de médicaments et la progression exponentielle des dépassements d’honoraires qui pénalisent lourdement les ayant-droit. Nul n’ignore par ailleurs que vous vous proposez de transférer au privé les régimes d’assurances maladie et de permettre aux fonds de pension de s’emparer des régimes de retraite. C’est sans nul doute par ces moyens que vous entendez « rationaliser » la dépense publique. Sur ces sujets, le débat est fort clos car nous avons bien perçu votre volonté de poursuivre en ce sens.
Les coups portés dans le domaine de l’enseignement participent également d’une dégradation qui pénalise aussi bien les professeurs des écoles, collèges et lycées, les personnels techniques et administratifs que les élèves et les étudiants. Vous voulez une école de la performance qui formate les esprits en ce sens. L’universel et sa complexité n’ont aucune validité à vos yeux. Vous voulez des entrepreneurs et de futurs salariés idéologiquement compatibles avec le dogme libéral.
L’exercice de la démocratie et ses déclinaisons concrètes semblent vous préoccuper. Si vous vous penchiez quelque peu sur un passé encore très récent, alors vous serait-il aisé de constater à quel point l’État dont vous avez la charge, votre gouvernement et ceux qui l’ont précédé, se sont, passez nous l’expression, assis sans vergogne sur les expressions populaires. Nous en voulons pour preuve deux exemples :
– Nous pouvons d’abord évoquer le référendum sur le projet de constitution libérale européenne s’est traduit par un refus majoritaire exprimé massivement par les couches populaires. Ce résultat n’a pas été respecté et le traité dit de Lisbonne est venu invalider les résultats d’une consultation électorale. Ce traité élaboré et passé entre les représentants des États concernés est apparu pour ce qu’il est, une forfaiture sur fond de déni de la démocratie.
– De même, en décembre 2017, les Corses dans leur majorité, ont porté au pouvoir régional une majorité et ont souhaité ainsi que le programme de celle-ci soit mis en œuvre. Lors de votre visite en février 2018, vous avez adressé à ces élus, une fin de non- recevoir et méprisé outrancièrement une expression populaire.
Comment pouvez-vous dès lors tenter de convaincre les peuples de votre bonne foi alors que précisément il leur a été infligé le fait du prince ?
Si nous nous faisions la moindre illusion sur votre véritable volonté de dialogue, nous aurions pu aborder le sujet des emprisonnés en Corse comme en Euskady. Ces femmes et ces hommes auxquels votre État s’obstine à nier la dimension politique de leurs engagements, sont toujours en attente de mesures concrètes qui présupposeraient une réelle avancée vers des solutions politiques. Or, vos tribunaux n’entendent rien de tout cela. Pas plus que votre appareil policier qui, sans relâche, continue de traquer celles et ceux qui se refusent à cesser la résistance.
Non décidément, nous avons passé l’âge de croire et d’espérer en une simple opération de communication parmi tant d’autres. Un dicton populaire dit : « parler ce n’est pas faire du bruit avec la bouche ». Nous ne prêtons donc aucune attention aux bruits trompeurs que vous émettez. Soyez persuadés que pour notre part, nous continuerons sans pause à inviter et convaincre le plus grand nombre à mettre fin à ce système dont vous êtes un des représentants dévoués. Autogestionnaires et donc anticapitalistes, nous sommes en même temps des partisans du droit à l’autodétermination. C’est à ce titre que nous affirmons qu’une amorce de solution passe par l’établissement d’un rapport de force qui seul peut garantir l’émergence d’une véritable démocratie.
Les militant-e-s et sympathisant-e-s d’A Manca.
Janvier 2019.