Pour un projet politique féministe de désaliénation globale
L’effacement médiatique actuel du combat féministe
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ».
Cette mise en garde prophétique adressée aux femmes par Simone de Beauvoir n’a jamais connu une telle résonnance qu’en ces temps troublés de pandémie mondiale et de guerre européenne. C’est donc avec la crainte au cœur de voir passer aux oubliettes de l’Histoire la cause des femmes que nous, militantes d’A Manca, publions ces lignes d’interpellation.
Le féminisme 3.0 post #IWAS et #METOO
Certes, depuis plusieurs années et malgré l’éprouvant contexte sanitaire lié au covid-19 qui s’est ajouté à l’atonie des mouvements sociaux, les féministes corses ont arpenté et arpentent le pavé avec une belle régularité énergique afin de faire entendre à haute et intelligible voix leurs diverses revendications. On pourrait même s’inquiéter du fait qu’elles aient été bien les seules jusqu’à présent à dynamiser le champ des luttes citoyennes populaires, mais c’est là un autre débat.
Ce fait mérite à lui seul d’ailleurs de saluer leurs mobilisations protéiformes et novatrices : manifestations, collages, journées de sensibilisation, dépôts de plaintes collectives solidaires, installations plastiques comme autant de lieux de mémoire contre la haine féminicide et tant d’autres formes d’actions qu’elles voudront bien nous pardonner, si par mégarde, nous en oublions.
Un féminisme radical, intergénérationnel et territorial aux nombreuses victoires
Ancrés dans la diversité des microrégions de notre pays, une multitude de groupes féministes radicaux, intergénérationnels et actifs, ont donc fleuri, en milieu rural ou urbain. Les médias ont relayé la diversité de leur expression et de leurs actions.
Après avoir réussi le défi de libérer la parole des femmes, face aux violences qu’elles subissent dans un territoire insulaire de non-dits et de domination patriarcale marquée, elles sont même parvenues à arracher quelques victoires concrètes. Elles ont par exemple marqué le territoire par un maillage de relais associatifs contre les violences sexistes et sexuelles ou encore sensibilisé par exemple les acteurs de l’éducation, de la santé, les collectivités locales ou territoriales à la nécessité d’éduquer et de financer des plans de formation pour contribuer à éradiquer le sexisme.
Pour nous, il ne s’agit pas là de dresser une liste exhaustive des récentes avancées obtenues par les mobilisations féministes en matière de violences sexistes et sexuelles ou de lutte contre les discriminations.
Ces avancées sont réelles et ne font aucun doute. Elles représentent un réel mieux être et progrès pour toutes les victimes d’actes sexistes. Il en aura fallu des femmes mortes sous les coups de leurs compagnons bourreaux pour en arriver là.
Même si le compte n’y est pas.
Perspectives, objectifs et méthodologie de la lutte
Comme toute lutte se doit de dessiner des perspectives et de définir des objectifs, nous ne pouvons pas collectivement faire l’économie d’une analyse des champs qu’il reste à défricher ni de la méthodologie à mettre en œuvre pour y parvenir.
Et force est de constater que la tâche reste immense, particulièrement dans le domaine économique et le champ sociétal.
Nous nous contenterons de pointer du doigt quelques exemples criants d’urgence féministe. Reconnaissons ensemble que le mot d’ordre « à travail égal, salaire égal », mot d’ordre éculé, usé depuis des décennies, demeure néanmoins une douce utopie, encore inatteignable notamment dans le secteur privé, puisque le différentiel s’avère toujours de l’ordre de 20% de rémunération en moins, en moyenne, pour les femmes.
Reconnaissons aussi que la responsabilité de la contraception demeure toujours à une écrasante majorité celle des femmes, que ce soit par l’usage de la pilule, du stérilet ou d’un quelconque autre moyen de contraception. Prolongeant cette dissymétrie hautement problématique, la responsabilité éducative et culturelle des enfants incombe encore très majoritairement aux femmes, surreprésentées par exemple lors des entretiens avec les enseignant(e)s ou formateurs/trices de leurs enfants.
Une fois dressé à grands traits ce constat, quelle méthodologie adopter pour contribuer à l’accélération du processus de désaliénation qui pèse sur les femmes ?
Une nécessaire politisation accrue de l’action féministe
Notre conviction est que l’approfondissement de la désaliénation passe nécessairement par une politisation accrue de l’action féministe. C’est un choix émancipateur de société qu’il nous faut faire sous peine de subir l’émiettement, la fragmentation, puis la dissolution progressivement de nos revendications comme des combats que nous portons.
Il s’agit de tirer le fils qui sous-tendent la lutte féministe sous peine de l’embourgeoiser pour longtemps.
Comment avancer sur le chemin de la désaliénation sans désigner clairement l’ennemi par son nom : le patriarcat traditionnel d’une société au modèle réactionnaire et/ ou petit bourgeois dominant ?
Comment réclamer l’égalité économique à l’heure de la spoliation capitaliste généralisée sans se dire anticapitaliste ?
Comment revendiquer de nouveaux modèles sociologiques et anthropologiques dans les rapports humains, militer pour les droits des LGBTI+ au temps de la marchandisation des corps et du tout consumériste sans défendre le droit à l’avortement, à la PMA, la GPA par exemple ?
Notre conviction est que les groupes féministes doivent investir la politique et la placer au cœur de leur démarche, sans crainte de l’affaiblir ou de la mettre en danger.
Tout au contraire c’est de la clarté et de la visibilité de cette ligne politique assumée, marqueur d’une appartenance (ou d’une autre) à un être au monde que dépend la mise en œuvre d’une égalité homme/ femme aboutie ou d’un féminisme mondain et de façade.
A MANCA