Nous vivons un temps de mutations multiples et combinées : mutation du citoyen en consommateur, du patient en client, du militant en adhérent, de l’objet en produit, de l’idée en image de l’idée.
La prétention capitaliste sans borne à la pensée unique, le manque de distanciation, l’urgence crée par l’accélération du temps médiatique, la conscience de la démocratie confisquée ar l’ »homo economicus », tout cela contribue à faire de l’homme moderne le champion toute catégorie du constat tous azimut.
L’insulaire ajoute à ce tableau sa tendance à la victimisation. C’est la faute de l’Autre à l’infini : c’est la faute des politiques tous opportunistes et menteurs, la faute des jeunes sans valeur, la faute des femmes sans retenue qui ont arraché aux hommes leur masculinité, la faute des étrangers qui ne partagent ni nos règles ni nos codes, la faute des drogues qui nous rendent dépendants pour mieux nous exterminer, c’est la faute des coupables que l’on trouve pour se déresponsabiliser et moraliser.
Alors me direz-vous, l’étape suivante, une fois ciblés les responsables, est logiquement celle du soulèvement, de l’action déterminée née de la prise de conscience.
Pas sûr. Le constat chirurgical établi, la plupart s’en retourne à son picotin et s’en remet au « mektoub » version nustrale et autres « chì fà chì ci si pò fà ! ». Le pourfendeur compulsif laisse s’assoupir en lui le militant pour mille bonnes raisons
La sempiternelle victime pâtit en définitive de l’infantilisation que les autres mais avant tout elle-même s’inflige.
L’action est alors, de manière plus ou moins consciente et à l’envi, minorée dans son impact supposé ou au contraire surdimensionnée dans un objectif d’empêchement absolu.
Et voici Monsieur Tout Le Monde pris au piège de son goût, de son talent pour le constat.
Comment essayer de briser le cercle de cette démagogie, de cette infantilisation ?
En cessant les poncifs qui opposent théorie et pratique, réflexion et action. En refusant la moralisation et la victimisation. En admettant humblement qu’être militant n’est rien d’autre qu’être un maillon de la chaîne, un témoin révolté du quotidien à peine un peu moins disposé que les autres à en admettre les pesanteurs et prêt à collectiviser la révolte. En acceptant l’échec, l’erreur voire la faute. En faisant feu de tout bois, en essayant, en expérimentant les champs du possible pourvu de se désaliéner en contribuant par là même à la rupture avec toutes les formes d’exploitation.
Anna Laura Cristofari, A Manca, Juillet 2011