Si l’on en croit bon nombre de patrons et de commentateurs, tout est réglé concernant le futur port de commerce de Bastia. En effet, exit la menace sur les herbiers de posidonie en construisant des quais sur pilotis. De plus, les Bastiais vont pouvoir respirer grâce aux futurs navires de plus de 200 mètres équipés d’une motorisation au gaz liquide.
Nous laisserons le soin aux associations de défense de l’environnement d’exprimer leur point de vue sur la validité technique de ces arguments. Mais revenons sur le fond politique de l’affaire, quitte à nager à contre-courant d’un consensus dont de nombreux journalistes insulaires font désormais la promotion.
L’augmentation du flux des transports maritimes justifierait une infrastructure portuaire plus importante, et ce pour des raisons de sécurité mais également afin de répondre à l’augmentation des rotations. Sans oublier les bateaux de croisière que tout socioprofessionnel qui se respecte appellera désormais « Unité commerciale plus performante », histoire de noyer le poisson. Mais sur ce dernier point, nous attendons de savoir si les promoteurs du projet « Portu Novu » souhaitent toujours faire de Bastia la seconde destination de croisière. Quant à l’argument portant sur la création d’emplois, si cela ressemble à ce qui est fait dans leur secteur de la grande distribution, non merci ! La jeunesse de ce pays mérite mieux ! Sur la question salariale, si l’on peut comprendre l’inquiétude de la CGT sur les conditions de travail des agents portuaires, plus surprenant est son silence sur la mise en coupe réglée de Bastia par ses ennemis de classe.
Le projet vise bien à augmenter l’importation de marchandises et celle de clientèle pour le plus grand profit de trente familles insulaires. C’est bien du renforcement de la dépendance économique et de l’insertion de la Corse dans le capitalisme marchand dont il s’agit. Bien sûr, on ne construira pas à Bastia un complexe commercial appelé « les terrasses du port » comme à Marseille. Quels que soient les projets immobiliers élaborés sur les 200 hectares à bâtir, ces projets seront pourvus d’une appellation garantie 100% nustrale. Dès lors que l’on corsise le béton, il peut couler à flot et défigurer toutes les communes corses. Se défendant de cette quête du profit immédiat, le patronat insulaire parle d’un projet structurant sur cent cinquante ans et fustige le port actuel datant de Napoléon III.
Soit, poussons cette anticipation jusqu’au bout.
Les grands patrons insulaires, sans doute trop occupés à leurs comptes, vivent-ils totalement en apesanteur ou plutôt sur une autre planète ? On peut légitimement se poser la question, car sur cette planète, il y a des phénomènes de dérèglement climatique massifs qui engendrent une fonte des glaces polaires de plus en plus importante et rapide. Que nous diront-ils dans quarante ans quand le port de la Carbonite sera submergé ? Il faut anticiper d’urgence tous ces phénomènes pour les villes littorales comme Bastia ! Et ce, dans le cadre d’un projet d’aménagement plus vaste ! L’avantage d’une mise aux normes du Port actuel c’est qu’elle permettrait d’anticiper également en élaborant par ce biais un plan de protection de la ville face à la montée du niveau de la mer, problème qui concernera les générations futures.
Mais à tout cela, les capitalistes à la petite semaine de Corse n’y pensent même pas car ils s’inscrivent dans une logique de profit immédiat sur une échelle de dix ou quinze ans.
Les Bastiais se souviennent encore de tous les arguments servis et des promesses faites en échange du sacrifice de leur plage de Toga. Rétrospectivement, quel enfumage ! Discuter aménagement urbain avec des affairistes c’est placer le débat public au niveau d’un échange avec un bonimenteur de foire commerciale. Dans la réalité, les intérêts privés qui se trouvent derrière ce projet sont colossaux. D’une part, un grand groupe capitaliste comme Vinci ou autre s’apprête à renforcer son emprise économique sur la Corse. D’autre part, les stocks considérables d’argent sale qui dorment vont pouvoir être blanchis dans divers programmes immobiliers. Sans compter tous les intermédiaires qui vont s’engraisser au passage.
On ne peut pas s’étonner de la volonté de la bourgeoisie corse de vouloir s’enrichir à tous prix, mais sa modernité est toute relative. Le modèle économique qu’elle impose en Corse est celui du néo-libéralisme des années quatre-vingt (grandes surfaces, grandes infrastructures). Ce modèle est de plus en plus remis en cause mais les affairistes locaux s’en moquent.
On se demande si leur stratégie économique ne repose tout simplement pas sur une ligne de conduite qui pourrait se résumer à : « prenons tout ce qu’il y a à prendre avant la fin ».
Ce projet nihiliste portée par une minorité droguée à la course aux profits et au pouvoir d’entreprendre sans limites, menace la survie du peuple corse et doit être mis en échec. Ce qui est loin d’être rassurant, c’est que le projet « Portu Novu » portée par la majorité territoriale semble recevoir l’assentiment de cette minorité.
A Manca appelle les Bastiais à s’emparer du débat public portant sur le projet du Portu Novu, à exiger des clarifications et à voir plus loin pour la préservation de cette ville, de son cadre de vie et de ses habitants.
A Manca s’oppose fermement à tout projet d’aménagement portuaire qui ne réponde pas véritablement à une réalité locale. Portu Novu est dans les faits révélateur d’un choix, d’un modèle de société porté par les entrepreneurs locaux et leurs relais politiques, mais qui s’inscrit dans un capitalisme de prédation européen qui entend absorber définitivement la Nation Corse.
A MANCA