Samedi 15 octobre, nous étions un peu plus de trois mille à défiler dans les rues de Bastia.
A l’issue de la manifestation et de la prise de parole d’un représentant des syndicats étudiants, quelques dizaines de personnes décident de « radicaliser » l’événement. Pendant deux heures, elles tiennent partiellement la rue en affrontant les gardes mobiles et les CRS, déployés en grand nombre.
La rapidité avec laquelle l’action a été menée trahit la jeunesse de ces manifestants. Leur mode opératoire témoigne d’une réelle détermination. Faut-il y voir les signes d’une radicalisation au sein de la jeunesse nationaliste ?
Ce qui est certain, c’est que les lourdes peines de prison infligées à de jeunes emprisonnés politiques, sonnent comme une provocation et sont vécues, dans une partie de la jeunesse de Corse, comme un déni de justice. Mais le malaise est bien plus profond encore et il concerne directement les partis nationalistes aujourd’hui à la tête de l’assemblée de Corse.
Gilles Simeoni et quelques nationalistes des premières générations, tentent de calmer cette minorité qui veut en découdre dans les rues de Bastia. C’est peine perdue. Ils se font insulter par une poignée de personnes qui passent outre.
Alors ? Crise entre la base et le « sommet » ? Pour partie sûrement.
Il y a au moins quelques électeurs de Femu A Corsica et de Corsica Libera parmi ces jeunes contestataires (du moins pour la minorité en âge de pouvoir voter). Cette dynamique gagne- t-elle les rangs de la Ghjuventù Indipendentista ? A écouter les propos de certains de ses membres, cette perspective n’est pas impossible, même si pour l’heure elle reste encore relativement minoritaire. Et il bien possible que la question des prisonniers politiques agisse comme un révélateur, tout autant que la manifestation à Lupinu qui a fait suite au fait divers de Siscu.
Il y à d’un côté des élus nationalistes, bien évidemment politisés et pour la plupart socialement issus de la petite bourgeoisie. Leur mouvements s’ancrent dans un type de lutte très institutionnalisée et dans la volonté de dialogue, y compris avec les instances gouvernementales. Une partie de la base de Corsica Libera, bien que soutenant encore la ligne de leur parti, commence à éprouver une forme de désorientation. Certes Jean-Guy Talamoni, réaffirme régulièrement le discours indépendantiste. Pour autant, cela ne parvient pas complètement à rassurer ses partisans.
Plus on s’éloigne des strates militantes, plus le malaise est perceptible, notamment chez les sympathisants-électeurs. En outre, le mythe du FLNC ne joue plus comme un écran protecteur entre cette partie du peuple et des réalités, culturelles, économiques et socio-politiques qui sont le résultat de mutations rapides.
Celles-ci pèsent d’un poids déterminant dans la période et tous les indicateurs avertissent des profondes fractures déjà en cours. Soyons sûrs que ces fractures ne peuvent, faute de véritables réponses, que s’approfondir.
Une fois passés les temps de la lune de miel qui ont suivi l’élection de décembre 2015, ces réalités vont percuter de plein fouet les autonomistes et leurs alliés. Sans doute y aura t-il encore un sursaut « légitimiste » aux prochaines élections territoriales. Le vote utile va alors jouer à plein, mais cela ne peut durer à plus long terme. Le système produit son lot d’injustices et d’exclusions sociales et l’Etat français n’entend pas mener d’autre politique, que le maintien à tout prix de la Corse dans le giron hexagonal.
En dehors des colons, de plus en plus nombreux, qui achètent massivement des résidences principales et secondaires et du patronat insulaire, le reste de la société n’y trouve pas son compte. C’est particulièrement le cas des jeunes, chez qui, les effets du chômage et de l’échec scolaire cumulés, auxquels s’ajoute une acculturation galopante, jouent comme autant de détonateurs. Cette exclusion de masse ne peut rester sans conséquence politique.
Si nous, partisans du socialisme autogestionnaire l’avons depuis longtemps analysé, d’autres en ont fait tout autant. Ce qui les différencient fondamentalement de nous, c’est qu’ils prétendent imposer, en termes de pseudo-alternative, un projet fondé sur une réponse par la « racialisation » aux brûlantes questions économiques et sociales qui nous affectent. Ce danger incarné par les micros groupes actuels de la facho-sphère n’est pas réellement pris en compte par le mouvement nationaliste. Et pourtant le ver est déjà dans le fruit. Nous n’avons de cesse que d’alerter sur la présence active des néo-fascistes à différents niveaux des organisations. Si numériquement, cela reste relativement limité, il en va tout autrement au niveau des thèmes qui sont habituellement les leurs.
Ces thèmes s’insinuent dans le discours politique général frappé d’une porosité de plus en plus grande à l’égard de ces questions qui empoisonnent de nombreux débats et contribuent à dessein à mal les poser ou les orienter.
Le quadrillage effectué par leurs soins dans l’après manifestation du 15 octobre, laisse à voir qu’ils multiplient leurs interventions, auprès des jeunes mais également auprès de militants nationalistes comme c’était le cas dans les rues bastiaises auprès de quelques membres de l’Association Sulidarità. Car le calcul de l’extrême droite est bien là : regrouper tous les déçus du mouvement national, les fusionner avec ces jeunes déclassés sociaux, tout en se revendiquant de la lutte de libération nationale. Le débordement a déjà commencé, tant au niveau des « idées » qu’au niveau de la rue.
Après avoir combattu par bien des moyens notre courant (railleries, dépréciations diverses, tentatives de marginalisation, ect…), les autonomistes et leurs alliés font encore le dos rond face à l’entreprise de déstabilisation des néo-fascistes, quand ils ne leurs ouvrent pas des perspectives en initiant des débats du type : « les racines chrétiennes de la Corse » ou en gérant, comme ils l’ont fait les événements de Siscu.
Mais Femu a Corsica, pas plus que Corsica Libera, ne pourront se soustraire plus longtemps du débat de fond sur un projet de société réellement alternatif et émancipateur. Il en va accessoirement de leurs existences en tant que mouvements, mais plus sûrement de l’avenir de toute la société corse.
A Manca