INTRODUCTION
La stratégie d’une organisation comme la nôtre, anticapitaliste et anticolonialiste, doit être définie en fonction des conditions historiques de développement de la société corse. Le contexte doit également être appréhendé du point de vue de la situation internationale.
La situation que connaît le peuple corse aujourd’hui est objectivement plus dégradée qu’en 1975. Plusieurs faits peuvent illustrer ce constat :
– Accroissement très important des inégalités sociales et émergence d’une précarité à l’échelle de masse.
– Marginalisation des forces politiques issues de la Lutte de Libération Nationale au profit d’un courant régionaliste libéral.
– Installation massive de français en Corse sans que le Peuple Corse ne dispose d’outils permettant une intégration sociale et culturelle et l’épanouissement mutuellement profitable d’une communauté de destin.
– Privatisation de pans entiers d’espaces collectifs de notre territoire au profit de la bourgeoisie corse et d’une petite bourgeoisie uniquement préoccupée par le tourisme et la spéculation immobilière quel que soit le prix à payer pour l’ensemble des Corses.
– Marginalisation de l’appareil de production corse au profit des magnats de la grande distribution insulaire associés aux multinationales européennes.
– Appauvrissement du niveau de conscience du peuple corse avec l’émergence d’un discours raciste de type nationaliste français et les résurgences de réflexes campanilistes archaïques (antagonisme Bastia / Aiacciu par exemple).
Cette situation est aggravée par les politiques françaises et européennes qui imposent au peuple corse les dogmes idéologiques de l’Europe libérale et leur traduction politique immédiate dans tous les domaines.
Par le traité de Lisbonne, l’Europe garantit aux Etats-Nations l’intégrité physique de leur territoire. De ce fait, ceux qui prétendent que le peuple corse peut sortir d’un rapport de force direct avec la France en s’adressant à l’Europe mentent.
En quarante années, les capitalistes se sont emparés de 10% du P.I.B au détriment des producteurs et salariés. Ils ont également épongé les dettes liées à leurs opérations spéculatives financières en se remboursant avec l’argent du peuple, saignant à blanc les finances publiques. Seul le peuple islandais s’est révolté contre ce coup d’Etat financier en mettant en prison les banquiers fautifs. Sur fond de perte de réflexes collectifs et d’abstention désespérée, les peuples européens semblent avoir capitulé. Seuls les peuples grecs et espagnols, les plus touchés par la dictature financière, se sont mobilisés dans la rue.
En France, le gouvernement P.S, loin de s’opposer à la dictature financière a opéré un tournant « Blairiste » et « républicain conservateur ». Ce choix impopulaire favorise la montée du chômage et de l’Extrême-droite dans notre pays et rend pour l’heure inenvisageable tout évolution sérieuse concernant les droits nationaux du peuple corse.
Il y a donc aujourd’hui un paradoxe entre un rapport de force qui nous est objectivement défavorable et un contexte de dégradation politique et sociale qui valide toutes nos anticipations passées, posant ainsi plus que jamais notre courant de pensée comme une alternative crédible au capitalisme, actuellement dans une phase d’une offensivité inédite contre les peuples et les travailleurs.
QUID DE LA QUESTION NATIONALE CORSE ?
C’est au début des années 90 que le Parti Socialiste, prenant en compte le manque de cohérence interne et les faiblesses du discours politique de la L.L.N, a œuvrer à désigner des interlocuteurs nationalistes privilégiés pour semer la division et détruire dans la durée la capacité de résistance nationale. Cette stratégie reprise par les gouvernements suivants s’est déroulée en deux phases :
Années 1990 : Détruire simultanément les fronts armées et isoler les cadres politiques les plus structurés, frontistes et à gauche.
Années 2000 : Inverser le rapport de force dans le mouvement national au profit d’un courant régionaliste modéré dans le cadre de la République Française.
Du point de vue de l’évolution des organisations politiques, cette stratégie s’est révélée d’une très grande efficacité. Actuellement le courant pour une réelle autodétermination du peuple corse pèse entre 5 et 10% des personnes votants aux élections locales.
A Contrario, dans le cadre des institutions de la République Française, le courant régionaliste a su mettre en œuvre une réelle dynamique en agglomérant du personnel politique traditionnellement issu du clan (P.S, PRG, UMP) mais acceptant des aménagements institutionnels a minima. Une partie importante de la bourgeoisie corse soutient cette dynamique espérant déroger au droit commun français sur ses seuls avantages de classe (fiscalité avantageuse, Loi littoral assouplie, droit du travail et droit de grève remis en cause).
C’est au moment où le peuple corse voit la position de l’Etat français se raidir, fort de ses succès politiques de l’ombre en Corse, que la direction politique du FLNC-UC a paradoxalement annoncé l’abandon de la lutte armée. Ce retour au principe de réalité, compte tenu du quadrillage policier de l’île, a toutefois désorienté un nombre important de militants nationalistes et de la base électorale de la L.L.N.
Doit-on en conclure que cette avancée indéniable du pouvoir colonial en Corse signifie une défaite historique pour le peuple corse, et compte tenu de la gravité de la situation sociétale, la fin du processus d’intégration militaire débuté par la France en 1769 ? En d’autres termes, la question nationale est-elle encore à l’ordre du jour ?
Pour répondre à cette question, il faut aussi analyser une donnée centrale dans le processus d’autodétermination : la capacité de résistance collective du peuple corse. Bien que désorienté par les errements du mouvement national, le peuple corse conserve encore (pour combien de temps ?) une capacité à se mobiliser.
Les succès populaires des manifestations nationalistes de 2014 (Culletivu Semu di Stu Paese et Pà a Lingua Corsa) traduisent la permanence d’une capacité de mobilisation dès lors que les cadres de lutte sont clairs et collectivement défendus. Le sentiment d’une identité collective ne débouche pas nécessairement sur la réappropriation d’une conscience nationale, même après quarante années de lutte.
Ces constats nous amènent à maintenir plus que jamais notre ligne : celle d’une organisation politique corse inscrite sans aucune ambiguïté dans un processus pour l’autodétermination du peuple corse quels que soient ses choix souverains (fédéralisme, autonomie, indépendance). Pour notre part, nous affichons notre préférence pour cette dernière option, mais dans le cadre d’un processus démocratique à étapes.
ETRE DE GAUCHE EN 2014.
Les capitalistes, et plus précisément la bourgeoisie financière, celle qui ne produit rien mais s’enrichit sans limites, est dans une phase offensive ouverte. Les grands groupes financiers ne disposent plus seulement de relais traditionnels au sein des gouvernements, mais placent directement leurs clients dévoués et collaborateurs dans les plus hautes sphères de pouvoir.
Nous voilà revenus au temps des producteurs d’idéologie du XIXème siècle où le personnel politique et médiatique renforce le contrôle idéologique du système économique dominant sur les masses tout en leur faisant croire que les idéologies sont mortes. Pendant ce temps, à l’instar de ce que dit le grand capitaliste Warren Buffet, non seulement la lutte des classes a bel et bien lieu, mais ils sont en train de la gagner.
Dans ce contexte, l’Europe libérale impose ses diktats aux peuples. Il n’est pas concevable que l’argent public ait pu servir à rembourser la crise financière bancaire. Cette situation hors norme n’est possible que parce que les grands groupes comme Goldman & Sachs confortent une dictature financière sur les peuples. Le projet politique est la privatisation globale de la vie sur Terre avec le démantèlement total des services publics, des droits sociaux et de toutes les instances de contrôle populaire. Pour ce faire, des groupes financiers préconisent en Europe l’avènement de régimes autoritaires. Le Front National est en France l’outil pour passer de la dictature financière à l’autoritarisme politique. Les nationalismes dominants ne sont pas problématiques pour le Marché qui peut spéculer à la baisse ou à la hausse des cours boursiers quels que soient les régimes en place.
Ces politiques engendrent des inégalités sociales de plus en plus importantes mais surtout, elles mettent en péril l’existence même de l’Humanité. La minorité dominante estime qu’elle aura toujours les moyens financiers pour s’en sortir, même en cas de diminution de la population mondiale. Rien n’est moins sûr si la surconsommation des ressources naturelles et des énergies à émission de carbone continue au rythme imposé par le modèle productiviste capitaliste. Le système capitaliste demeure un système de pensée suicidaire qui mène l’Humanité à sa perte. Dès lors, être véritablement de gauche en 2014, c’est s’opposer à ce système en proposant une alternative fondée sur une plus juste répartition des richesses, une décroissance respectueuse de la Terre et des outils de contrôle démocratiques et participatifs. L’anticapitalisme devrait être l’aboutissement de toute lutte écologiste.
Etre de gauche, c’est tout, sauf le social-libéralisme qui s’est imposé dans les Partis Socialistes européens. Il ne suffit pas d’être libéral et ouvert sur des questions sociétales pour être de gauche. De nombreux courants humanistes peuvent avoir ce type de positionnement. Aujourd’hui, celui ou celle qui justifie le maintient ou l’aménagement du système capitaliste ne peut être situé objectivement à gauche. Il n’y pas de grande différence aujourd’hui entre des sociaux-libéraux de gauche et de droite : seuls les rythmes des réformes peuvent les différencier. Les gouvernements « dits de gauche » qui ont mené des politiques économiques et sociales libérales ont contribué à décevoir et trahir les classes populaires, faire progresser l’abstention et présenter l’extrême-droite comme un recours possible en la dé-diabolisant, à la grande satisfaction des banquiers.
Etre de gauche aujourd’hui ne doit plus souffrir d’aucune ambiguïté : c’est être fondamentalement et clairement anticapitaliste. Des luttes ponctuelles avec les humanistes socio-libéraux peuvent se concevoir au sein de fronts démocratiques larges, mais il revient, il incombe aux seuls anticapitalistes de bâtir une réelle alternative. Tout autre projet est sans lendemain.
LES AXES DE LUTTE PRIORITAIRES D’A MANCA
1) Renforcer l’organisation
L’histoire nous apprend que lorsque les militants de gauche ont impulsé la dynamique pour une voie corse au socialisme au sein des structures de la L.L.N, celles-ci ont atteint leur apogée en nombre de militant(e)s en 1991.C’est bien là l’enjeu central qui doit nous préoccuper, imposer à nouveau cette direction politique comme seule moyen de pérenniser et redynamiser la L.L.N.
Pour ce faire, la tâche centrale et prioritaire des militant(e)s d’A Manca est de renforcer la campagne d’adhésion et de multiplier les sessions de formation autour d’un projet de société alternatif.
Il n’y aura pas de libération nationale sans libération sociale et réciproquement.
A Manca dispose aujourd’hui de propositions dans tous les domaines aisément diffusables et pouvant servir à l’animation de débats.
2 ) Choisir avec discernement les champs d’intervention
Les militant(e)s d’A manca doivent se rendre disponibles pour participer aux luttes de masse dont les objectifs sont clairs et relèvent de la résistance populaire :
– Défense des services publics – Défense des espaces collectifs
– Défense des acquis sociaux – Défense des droits nationaux du peuple corse.
Pour autant, les forces patriotiques de gauche ne doivent pas épuiser leur potentiel dans des luttes intermédiaires ou des fronts larges et doivent penser à des axes d’interventions spécifiques.
Par ailleurs, notre organisation doit réinvestir le champ des solidarités internationales. L’internationalisme n’est pas seulement un devoir pour tout révolutionnaire, c’est aussi l’opportunité d’échanger sur des expériences différentes, créer des liens de solidarité réciproque et enrichir notre culture politique.
3) Construire la société corse de demain aujourd’hui
Depuis la nuit des temps, le peuple corse est le produit d’apports et de métissages. Le Corse de 2014 ne pense pas et ne parle pas comme le Corse de 1914. La crise démographique qui frappe le peuple corse le condamne mécaniquement à la disparition, si celui-ci ne se nourrit pas d’apports extérieurs divers.
Le combat central pour la communauté de destin doit s’appuyer sur un socle culturel commun dont le principal vecteur est la langue, mais cela est insuffisant. Alors que le modèle républicain français constitue une offre politique pour bon nombres de travailleurs immigrés, le mouvement national corse n’a aucune intervention conséquente en direction de ces populations, et notamment en direction de celles issues de notre espace naturel, la Méditerranée. L’absence totale de représentation de ces populations au sein des instances du S.T.C en est par exemple une parfaite illustration.
Ce qui caractérise un colon ce n’est pas son origine mais la façon dont il se situe pour ou contre la survie du peuple corse. Dès lors, une intervention spécifique doit inciter les jeunes corses issus de l’immigration à rejoindre la L.L.N sur des bases claires qui rejettent sans concessions les racismes et intégrismes d’où qu’ils viennent.
A MANCA, Calvi, 23/11/20104