Suite à la motion déposée par le Président de la Collectivité de Corse concernant un texte sur l’histoire de la Corse diffusée par le Préfecture de Corse et retiré depuis, A Manca tient à réagir sur le caractère idéologique que revêt cette affaire.
Notre peuple a une mémoire collective et s’est réapproprié depuis des décennies des pans entiers d’un passé censuré par la puissance coloniale. Ce faisant, il était assez révélateur de trouver en 2018 sur le premier portail internet de l’Etat français en Corse, une petite histoire de la Corse comportant des passages, notamment sur la période de la conquête française, ouvertement révisionnistes. Il convient de revenir sur les points les plus litigieux.
En guise d’introduction :
« Tous les peuples l’ont convoitée. Fière, elle a résisté avec héroïsme à tous. Enfin est venu le beau français qui l’a prise de force, et, comme la Sabine elle a fini par aimer passionnément son ravisseur ». in F.Girolami-Cortona, « Histoire de la Corse », Librairie la Marseillaise.
Sur la dernière intervention militaire de Louis XV en Corse.
« La France essaye de négocier avec le chef de la jeune nation qui en 1755 et en 1763 avait sollicité une sorte de protectorat auprès de Louis XVI. Elle n’obtient de Paoli que la réaffirmation de sa volonté d’indépendance et l’acceptation d’un protectorat (…)»
Sur le Traité de Versailles
« Le traité a un mauvais effet en Corse. Vendue ou cédée en gage d’une dette, le jeune royaume corse indépendant a le sentiment qu’une « transaction » s’est faite par-dessus sa tête ».
Sur les suites de Ponte Novu
« La France s’efforce de consolider et d’asseoir pacifiquement sa présence en Corse. »
Ce florilège de contrevérités historiques est facilement attaquable du point de vue des sciences historiques. Quant à l’introduction, dont le fond pro colonialiste et sexiste est daté, elle ne mérite même pas de commentaires de notre part.
Rétablir les faits historiques
Le premier ministre de Louis XV, Choiseul, s’est exprimé à maintes reprises sur l’importance stratégique de la Corse pour le commerce français vers le Levant et a justifié en tout point l’entreprise coloniale de destruction de la République paoline par le feu, le fer et le sang. En 1763, c’est avant tout l’espion de Louis XV, le Chevalier de Valcroissant, qui est chargé de négocier un accord secret avec Pasquale Paoli pour rapprocher la Corse de la France. L’idée de céder purement et simplement le Cap Corse et tous ses habitants à la France a un caractère injuste et arbitraire aux yeux de Paoli. Cela remet en cause la souveraineté de la nation corse sur tout le territoire qu’elle administre. N’oublions pas non plus la tentative d’achat de Paoli à qui l’on propose un haut grade dans l’armée française, que ce dernier refuse.
Le traité de Versailles est bien un accord secret négocié dans le dos des Corses. Il est utile de rappeler la condition expresse du Doge de Gênes adressée par courrier à Choiseul en Juin 1768 après la signature de ce traité : « La totale suffocation du peuple corse ». C’est donc bien un peuple libre qui a été vendu par une ancienne puissance coloniale à son repreneur, avec une clause orale visant à la destruction.
Évoquer la conquête pacifique de la Corse est la négation pure et simple des faits. De nombreux travaux historiques sont là pour démontrer plusieurs éléments que nous rappelons pour mémoire comme le nombre de veuves dans certains villages corses sur la ligne de front, les déportations et les morts au bagne de Toulon, la répression et la destruction de communautés par le feu et le pillage (tel que précisé dans l’édit de Chauvelin de Mai 1768). À cela s’ajoutent la révolte et la répression de 1774(cf pendus du Niolu), mais aussi les raids de la résistance extérieure corse « I Fuorusciti » jusqu’en 1782.
La mise sous tutelle a besoin d’un cadre idéologique
Considérer que cette présentation est très éloignée du sort des corses en 2018 est une erreur d’appréciation. Dans le bras de fer actuel, après le mépris et le renouveau colonial exprimé par le gouvernement de Macron, c’est bien la fin du processus de pacification dont il est question.
Le premier acte est la mise sous tutelle et une remise en cause du statut Joxe par l’Etat français qui entend redonner au corps préfectoral toute sa puissance régalienne. C’est le Préfet qui doit décider qui fait quoi, et la Collectivité de Corse doit suivre. C’est une régression historique majeure qui est non seulement déni de démocratie mais gomme cinquante années d’histoire récente. La Collectivité de Corse a raison de ne pas accepter cette tentative de mise au pas coloniale.
Tout cela est tout sauf symbolique car il n’y a rien à attendre du représentant d’un Etat policier et néo-libéral. Cette mise sous tutelle menace frontalement les droits économiques, sociaux et culturels des Corses. Citons en dernier exemple les limites du dispositif « Ritirata » qui permet à la moitié des retraités corses de bénéficier de 20% à 50% de réductions sur tous les transports. Certains retraités déplorent à juste titre de ne pouvoir en bénéficier. Comment développer un droit social sans fiscalité et budget propre ?
Il ne faut pas -et aujourd’hui moins que jamais, opposer les luttes sociales aux luttes démocratiques, car elles sont indissociables, surtout face à une puissance intéressée à notre seule dissolution dans un modèle néo- libéral.
A MANCA