Les scores des élections européennes en Corse se caractérisent par trois phénomènes majeurs: une abstention massive, une permanence du vote d’extrême- droite et la déroute des partis de la gauche parlementaire.
La politique européenne libérale menée en Corse comme ailleurs exerce une formidable pression sur nos sociétés. Comment y remédier et quelle Europe construire ?
I- Une abstention massive
1- Un score FN certes important mais à relativiser
L’abstention atteint des records, soit un peu plus de 69% sur la ville d’Aiacciu par exemple.
Sur la cité, avec 2700 voix sur quelques 33 000 inscrits, la liste d’extrême- droite améliore son score de 800 voix si on le compare aux dernières municipales. Ramené au chiffre de 33 000 inscrits, le pourcentage réel du FN est de 8%.
2- Un électorat de gauche démobilisé
L’électorat de gauche ne s’est pas mobilisé. En additionnant les résultats du PS et du Front de Gauche, ce sont seulement 1400 électeurs qui se sont exprimés pour ces listes, soit 4,2% du total des inscrits.
3- Une adhésion à l’Europe inexistante
L’adhésion populaire à cette Europe est inexistante. Au contraire, le rejet s’avère massif. Pour une écrasante majorité de personnes, l’Europe est devenue synonyme d’austérité et de chômage. Le passage à l’euro avec son corollaire, la flambée des prix et la stagnation des salaires, constitue une régression du niveau de vie.
L’éloignement géographique et surtout politique des pôles de commandement et de décision, engendre de fait une marginalisation ressentie par l’ensemble des Corses, se vivant dès lors comme une périphérie délaissée. Cela s’accompagne de phénomènes variés, mélange d’aversion et de craintes.
II- La stabilisation d’un vote FN, source de stigmatisation permanente
1- Le FN légitime le racisme et la xénophobie
Alors que ce sont les milieux de la finance et les politiques poursuivies par son parti qui sont les responsables du chômage de masse et de l’effondrement du niveau de vie pour les classes populaires et moyennes, l’extrême droite stigmatise l’immigration allant jusqu’à parler d’invasion. Le FN tente de légitimer le racisme et la xénophobie en désignant comme responsables de la crise morale des Européens, des personnes qui ne sont en rien la cause de l’écrasement économique et social qu’ils subissent.
Le chômage augmente toujours tandis que les marchés boursiers enregistrent des résultats à la hausse ; les grands groupes, avec leurs actionnaires, encaissent des dividendes colossaux. Les discours du FN sont donc fondés sur un mensonge permanent.
2- Les contradictions du vote FN en Corse
En Corse, aux causes déjà invoquées du vote FN, s’ajoute l’expression politique d’électeurs qui se refusent à reconnaître d’autres horizons que ceux , mythifiés, d’une France une et indivisible.
Le vote FN est certes un vote de rejet et d’exclusion, mais c’est aussi parfois l’expression de ceux qui adhèrent aux thèmes du “ Parti Français” en tant que parti nationaliste français par excellence. Comment ne pas relever également la contradiction d’un vote FN chez des sympathisants du mouvement national corse?
3- La stratégie de la respectabilité
Au niveau européen, l’extrême- droite progresse. Ouvertement raciste en Hongrie, elle prend d’autres visages qui se veulent « présentables » comme c’est le cas en France et en Angleterre, par exemple.
Mais le fond est identique : il s’agit bien de partis et mouvements néo-fascistes qui font peser une menace mortelle sur la liberté. Toutes ces variantes correspondent à des stratégies et des discours qui tendent tous, sans exception, vers le même but: la création d’une Europe brune fondée sur des États totalitaires.
III- La déroute de la gauche parlementaire
1- Les politiques libérales du PS accroissent le malaise
Les politiques libérales du PS et de ses alliés, faute de combattre les causes du malaise social et moral des populations, ne font dans la réalité quotidienne, que l’accroître.
Ce sont les jeunes, les femmes et toutes les couches sociales en voie de précarisation qui s’avèrent les premiers touchés. La précarité de l’emploi s’est en effet accrue, les services publics socialement utiles, quand ils n’ont pas encore été privatisés, sont privés de moyens et ne peuvent plus répondre aux besoins exprimés. Plutôt que d’interdire les licenciements et d’augmenter les salaires, le PS a opté pour le « Pacte de responsabilité » et le gel des revenus salariés. Constitué dans ses directions de notables et de carriéristes au niveau hexagonal, ce parti n’a plus aucune implantation significative en Corse.
2- L’ambiguïté d’EELV sanctionnée
Europe Ecologie les Verts, parti de la majorité, est entrainé par le PS dans sa chute. En ne se démarquant pas concrètement du libéralisme assumé de celui- ci, ce courant écologiste apparaît comme un soutien à cette politique.
Le Front de Gauche, principalement constitué en Corse du Parti Communiste Français, n’a pas convaincu les électeurs de gauche et n’a pas non plus élargi son audience, en particulier auprès des jeunes. Écartelé entre deux lignes diamétralement opposées, celle du Nord et celle du Sud, il ne s’impose toujours pas comme une force susceptible d’offrir une alternative.
3- L’exception de la Gauche radicale de Grèce
Seule la Gauche radicale de Grèce échappe aux déroutes des gauches européennes.
Dans ce pays, les tensions conduisent immanquablement à une bi-polarisation entre le populisme et les révolutionnaires. La bourgeoisie nationale de la Grèce n’hésite pas à soutenir l’extrême- droite si celle-ci apparaît comme garante de ses intérêts.
Il n’est d’ailleurs pas impossible que les milieux européens de la finance usent de leur influence pour tenter d’écraser le mouvement populaire radical de gauche en Grèce.
4- Comment échapper au scenario grec de soutien de la droite à l’extrême-droite ?
Ce scénario ne peut se répéter dans d’autres pays si les travailleurs et tous les exclus se radicalisent, ce qui n’est pas encore le cas. Malgré tout, de grands groupes bancaires et des seentreprises de secteurs importants, favorisent une fois de plus le populisme d’extrême- droite en envisageant son accession au pouvoir.
Cette stratégie de soutien bien réelle de la droite à l’extrême- droite est une façon d’anticiper sur les remous sociaux que pourraient engendrer auprès des classes populaires la poursuite des politiques libérales. C’est aussi une manière de parer l’insurrection et de lui faire obstacle.
IV- Quels remèdes à l’Europe libérale?
1- Une pression croissante du capitalisme sur nos sociétés
Dans ce contexte corse et international, il n’y a ni recettes “miracles” ni illusion à se faire.
Le capitalisme n’entend pas ralentir son offensive. Pire, il va s’atteller dans les mois qui viennent à exercer une formidable pression sur nos sociétés. La rémunération du travail et la durée de celui-ci se trouvent au coeur des enjeux.
2- Des projets de mise en concurrence de la société communs à l’ensemble de la droite
En organisant une concurrence dévastatrice entre les travailleurs, la droite souhaite diviser encore plus ces derniers afin d’affaiblir, puis d’écraser toutes les résistances. Si comme en France, la droite peut donner l’image de la confusion, ce n’est pas à cause de projets antagonistes. Seuls les rythmes des offensives font le véritable objet des divergences entre les différentes composantes de la droite. Le projet global, lui, ne souffre pas de divisions sur le fond.
Mais il suffirait d’une montée en puissance des luttes sociales pour que les masques tombent.
3- Une nécessaire lutte sans concession contre le libéralisme
Il n’y a pas d’homme providentiel à attendre.
Le projet alternatif passe par une lutte sans concession contre le libéralisme.
La rupture avec le système capitaliste ne relève pas d’une utopie: elle est une nécessité vitale, chez nous comme à de plus vastes niveaux.
Refonder la Gauche ne constitue pas la priorité, surtout si comme pour Mélenchon, il s’agit plus de postures de contestations que de volonté révolutionnaire authentique.
4- Clarifier l’identité de la gauche pour juguler la crise de confiance
Toutefois, nous ne saurions faire l’économie d’une clarification relative aux contours actuels de la gauche, sous peine d’aggraver considérablement la sous-politisation des sociétés européennes dans leur ensemble et d’approfondir la crise de confiance et de représentativité qui sépare les électeurs européens du personnel politique élu. Il n’est en effet plus possible de nommer de façon crédible “politique de gauche “, les options prises par le PS dans la plupart de ses champs d’action.
5- Une lutte de libération nationale et une lutte de libération sociale à mener
La priorité demeure les luttes sociales, qu’elles s’opèrent dans les entreprises publiques et privées ou bien encore partout où la spéculation menace nos espaces naturels.
Le lien profond entre les droits du peuple corse et la lutte d’émancipation nationale doit se matérialiser par une lutte de double dimension. Les questions culturelles et sociales s’avèrent indissolublement liées.
Le droit à l’autodétermination est un processus qui seul peut garantir l’avenir; reste au monde du travail à y adherer par l’action de manière concrète.
L’internationalisme doit se concrétiser par des soutiens pratiques et politiques car il n’existe pas de solution locale sans dynamique internationale.
Les urnes ont menti : la seule vérité qui vaille est celle des luttes.