Entre 2008 et le premier tour des élections municipales de mars 2014, la majorité sortante perd 5000 voix. Au deuxième tour de ce même mois de mars, l’écart qui sépare celle-ci de la liste UMP est de trois cents suffrages, au bénéfice de cette droite revancharde.
Au mois de février 2015, c’est avec quasiment 60% des suffrages exprimés que l’UMP rafle la mise .
L’abstention se situe à un peu plus du tiers des inscrits. Une hausse de cinq points qui se maintient aux deux tours par rapport au mois de mars 2014. Voilà pour ce qui est du strict constat mathématique. La droite exulte. Logique, car il y a la griserie d’un soir de victoire.
Unie et s’assumant en tant que vraie droite décomplexée, elle a su éviter les divisions qui en 2001, permettent à Simon Renucci, chef de file d’une coalition hétéroclite ( Le prince Napoléon, le PCF, le PS, le chevènementiste Filloni), de prendre le pouvoir. Le retour en arrière auquel nous assistons, ne doit rien au hasard. Plusieurs phénomènes se conjuguent et alimentent le processus de la défaite.
La plongée au cœur du réacteur.
Depuis des années, un long et sournois travail de sape, s’effectue sous l’égide de la droite. Rumeurs et calomnies sont d’abord les moyens employés. L’affaire d’une prétendue relation extra-conjugale de l’ex maire d’Aiacciu, ne porte pas sur la morale. En mettant en exergue les origines de la supposée maîtresse, les corbeaux visent à attiser le racisme et la xénophobie. Le message est alors limpide dans ses objectifs. Gagner à la cause un électorat oscillant entre le FN et l’UMP en est un des principaux. Le climat putride ainsi entretenu, permet de désaxer les débats, et d’éviter la véritable confrontation politique. Il tend à gommer des mémoires de ce qu’ont été soixante longues années de la domination sans partage, exercée par les bonapartistes et leurs alliés RPR. Les rejetons de ce conglomérat réactionnaire sont désormais au pouvoir. Les cicatrices béantes d’un urbanisme spéculatif, laissées par leurs ancêtres sont là qui défigurent la ville, et qui continuent de creuser les inégalités en termes de qualité, et d’accès à un logement décent pour tous. Oubliées où méconnues, les positions des aînés en ce qui concerne plus largement la vie politique de la Corse, méritent d’être rappelées. Les appels à la répression du clan bonapartiste/RPR à l’encontre des nationalistes sont pourtant la réalité crue d’un récent passé. Comme l’adhésion à l’association Corse Française et Républicaine de ces mêmes. Association quelque peu cache sexe des membres du SAC de sinistre mémoire, la CFR ne cesse pendant des années de créer les conditions d’un affrontement avec le mouvement nationaliste. Les « corsistes » qui peuplent la liste de la nouvelle majorité, ne sont sûrement pas dérangés par ce passé aux relents de guerre civile. Ceux des électeurs nationalistes qui se sont laissés aller à un vote UMP, perdent leurs repères en occultant les racines idéologiques de cette droite revenue aux affaires. Cela vaut également pour une partie du mouvement Femu a Corsica dont le positionnement contribue à la victoire des nouveaux « aiglons ».
Les drapeaux tricolores exhibés lors du défilé de la victoire, par plus d’un participant, témoignent de la permanence du camp des nationalistes français au sein de la droite. Si des sociologues veulent bien s’astreindre à l’analyse des phénomènes propres à la société ajaccienne, qu’ils prennent alors en compte les très nombreuses arrivées de citoyens français et l’expression du vote près des casernements de gendarmes. La superposition de cette cartographie électorale avec les thématiques de l’UMP doit pouvoir éclairer la situation. Farouchement hostile à la reconnaissance des droits du peuple Corse, M Marcel Franscici a certainement rassuré plus d’un électeur tricolore. La jeunesse dorée de notre ville s’est particulièrement mobilisée en faveur de la droite. En cela rien d’étonnant. C’est elle qui donne le « LA » des modes et qui draine dans son sillage d’autres jeunes aveuglés par ses déploiements d’aisance. Les lieux de vie diurnes et nocturnes de cette caste juvénile, servent comme des endroits de recrutement électoraux. L’objectif consiste à ringardiser l’ex majorité en se parant des atours de la modernité. L’idéologie dominante est celle de l’individualisme, faite également de pratiques consuméristes permanentes. Au besoin un vernis identitaire est étalé, ce qui renvoie à une folklorisation dont les ancêtres de la droite ajaccienne étaient si friands.
Mais ces éléments suffisent-ils à eux seuls, à expliquer la déroute de l’ancienne majorité ?
Adossée à un bilan pourtant positif, celle-ci subit pourtant un revers magistral. Des observateurs de bonne foi sont obligés de constater que les treize années passées voient la ville se métamorphoser. Les améliorations sont dues à des actions de courts, moyens et longs termes. Cette capacité de bons gestionnaires est indéniable. Les efforts afin de mettre à parité, en termes de prestations les quartiers populaires et les quartiers aisés sont réels. L’offre culturelle est abondante et de qualité, dans le respect des goûts et de la diversité. Les dotations d’infrastructures destinées à augmenter le niveau de sécurité des populations, aujourd’hui en cours de réalisation, sont programmées de longues dates(captation des eaux de pluie, nouvel hôpital). Les écoles sont bien équipées et les moyens d’accès à la pratique du sport sont importants. La ville adopte le bi-linguisme et diversifie le travail de mémoire. Des projets en direction de l’accès à des logements à loyers modérés sont en cours. La calamiteuse situation financière de la ville s’est considérablement améliorée. Cité qui sous la dernière mandature de la droite dans les années 2000, a été, rappelons le, sous tutelle administrative.
Malgré cela, la droite triomphe et l’ancienne gauche est moribonde.
Il faut aller pour comprendre, au delà du bilan de gestion pour mieux appréhender les phénomènes politiques qui sont les premières causes de cet échec cuisant. Avec la crise, la paupérisation des couches populaires s’est fortement accentuée. Le chômage, le sur-endettement des foyers, la cherté de la vie et la pénurie de logements sociaux, empoisonnent l’existence de milliers d’ajaciennes et d’ajacciens. Si toutes les tranches d’âges sont concernées, les jeunes, les femmes et les retraités sont particulièrement affectés. Face à cette misère sociale et en l’absence de réponses palpables, les tentations d’user d’expédients croissent. Sur le champ politique cela se traduit par des votes de réaction dont le FN bénéficie partiellement. Mais la droite qui loin des micros, reprend à son compte les thématiques des néo-fascistes, capte une grande partie de cet électorat. Sa main mise sur les moyens de l’aide sociale, via le conseil général, et les viatiques de tous ordres, lui permettent d’augmenter et de contrôler des pans entiers de la population de la ville. Avec la politique d’austérité du gouvernement actuel, les fractures sociales s’agrandissent. Le clanisme s’est considérablement revitalisé. Les réponses politiques de l’ancienne majorité, faites de discours insipides, ne génèrent aucun enthousiasme dans les couches populaires. Une forte abstention témoigne, entre autres choses, de cela. La cure d’austérité prescrite par le tandem Hollande/Valls, outre les dégâts sociaux qu’elle génère, est le symptôme majeur du virage libéral, de la « gauche » réformiste. Le brouillage des lignes ainsi produit, s’inscrit dans le prolongement des années Mitterrand. Années marquées par l’effacement du minimum de lignes entre la gauche et la droite. Le tournant pris alors par Fabius avec ce qu’il nomme « les restructurations industrielles », et l’appel à des capitalistes bon teint comme Bernard Tapie, comptent pour beaucoup dans les brouillages idéologiques. Cela ne semble pas affecter le Rocardien Simon Renucci, qui ne trouve rien de mieux que de positionner sur sa dernière liste des personnalités de droite, avec l’aval du Parti Communiste Français. Comment s’étonner dès lors que l’électorat populaire se dissolve ? L’ancrage de Corsica Libera dans les quartiers sauve partiellement les scores réalisés au deuxième tour par cette liste. Mais cela n’est qu’un épiphénomène.
Une ville bradée à l’encan.
Les espaces de la Citadelle et ceux d’Aspretto font l’objet de convoitises exacerbées par la perspective de juteuses opérations spéculatives. Si les mobilisations populaires n’exercent pas un forte opposition, alors ces lieux sont d’ors et déjà confisqués par les appétits des bandes qui se profilent derrière la nouvelle municipalité. Cela peut d’ailleurs se traduire par de formidables tensions, tant la concurrence est forte. La probabilité que des conseillers municipaux vivent dans les affres est forte. Tous les espaces naturels sont aussi menacés. Certains, admiratifs de Miami, vont être servis…. Une marina à Aspretto, des hôtels, des bars et des restaurants auxquels s’ajoutent des appartements de luxe pour A Citadella, tout cela ne relève pas de l’impensable.
Certes entre la ligne bleue, blanc, rouge de Marcel et le vernis corsiste de Laurent, d’aucuns peuvent déceler des nuances. L’avenir proche risque fort de mettre ces supputations à la poubelle.
Les aiglons s’agitent. Le coq, lui a les moyens d’imposer sa loi. Une autre voie est possible, plus encore, elle est vitale. C’est dans les luttes quelle prendra forme. C’est de ces mobilisations que peut se fonder l’alternative, en dehors du marécage des démocrates sociaux et des nationalistes de droite. La gauche est morte ! Evviva A Manca !
Vandepoorte Serge
Militant de la Manca
Février 2015.