Quels que soient les bouts par lesquels on prenne les données et les statistiques, le modèle économique (BTP-Tourisme-Grande Distribution) que les Capitalistes ont imposé à la Corse a généré un accroissement exceptionnel des inégalités.
La poursuite de cette économie résidentielle et saisonnière au seul profit d’une minorité est un non sens et n’est certainement pas un projet d’avenir respectueux des hommes et de la Terre. Sans le poids de l’emploi public, la Corse serait dans une situation bien plus dégradée encore.
Si on en est arrivée là, c’est parce qu’en Politique comme dans d’autres domaines, la nature à horreur du vide. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie ont su promouvoir leur vision de la Corse là où le monde du travail n’a pu asseoir sa propre direction des luttes. Et cette faillite historique n’est pas seulement due aux divisions classiques entre révolutionnaires et réformistes, mais à une division profonde entre deux traditions de lutte qui n’étaient pourtant pas nécessairement opposables du point de vue des communs et de l’aspiration à la Liberté.
Que l’on se réfère aux révoltes paysannes anti-féodales, à la révolution contre les abus fiscaux génois, aux espoirs suscités par la Révolution Française pour récupérer les terres communes, au soulèvement des bergers du Fiumorbu, au Front Populaire au plan insulaire ou encore aux grandes mobilisations syndicales, la Question Sociale s’est toujours posée avec force en Corse. On peut parler, et de nombreux travaux existent à ce sujet, d’une tradition paysanne et ouvrière de lutte de classe en Corse, comme sous d’autres cieux, et Gramsci ne démentirait pas.
Mais dans le même temps, l’aspiration ancienne à une gestion commune des affaires (d’où le recours au parti populaire génois au moyen âge), l’attachement durant des siècles au principe des consulte au sein desquelles les représentants des communautés corses prenaient des décisions importantes, la construction d’un État indépendant avant-gardiste, les résurgences des luttes pour les droits politiques spécifiques du peuple corse, sont autant de faits qui mettent en évidence l’attachement profond d’une partie importante de ce peuple à la liberté de pouvoir décider de son avenir.
Et pourtant, ces deux traditions de lutte n’ont jamais réellement pu converger de façon déterminante.
Le grand printemps social de 1989 aurait pu créer les conditions favorables à un aggiornamento des revendications et à la neutralisation de cette opposition stérile entre question sociale et question démocratique. Cela n’a pas été possible du fait du nationalisme Bleu Blanc Rouge de la majorité des cadres «ouvriers» et d’une OPA de la petite bourgeoisie sur la Lutte de Libération Nationale.
Et à la fin de ce processus, la Gauche, celle qui proclamait défendre les intérêts du Monde du Travail, a été laminée aux élections territoriales de 2015 et 2017. Cet épisode institutionnel est principalement du au fait que contrairement à la petite bourgeoisie, la Gauche en corse a tourné le dos au vent de l’histoire et pour partie a elle aussi sombré dans des alliances douteuses.
Aujourd’hui le mouvement social et le mouvement patriotique sont dans une impasse stratégique. La violence néo-libérale des Macron et autres n’entend laisser aucun espace aux revendications exprimées sur les deux aspects, et c’est le peuple corse qui en paye le prix fort. Dans ce contexte de double oppression, une alternative ne sera possible que si des hommes et des femmes décident de travailler à dépasser des clivages qui peuvent relever parfois de postures, de procès d’intention, de fétichisme organisationnel, mais aussi et surtout d’un manque d’échanges sur le fond politique et sur l’Histoire de ce Pays.
Le monde du travail, celui qui produit, qui va produire ou qui a produit, est une réalité ; et il incarne l’écrasante majorité des forces vives de la Corse. Mais la question se pose tout autant de l’existence du peuple corse et de ce que cela signifie en terme de citoyenneté et de Droits. Aucune tergiversation ou ambiguïté n’est possible, soit le peuple corse existe, soit il n’existe pas, mais si il existe du point de vue de la définition universellement admise de ce que l’on entend par Peuple, alors il doit pouvoir exercer le droit le plus démocratique qui soit, celui de pouvoir s’autodéterminer. Il ne s’agit pas ici de fixer un cap institutionnel, mais bien de concéder à ce Peuple le droit d’atteindre le plus haut degré de Liberté, s’il le souhaite. Et la Liberté n’est pas divisible, il ne saurait y avoir d’émancipation individuelle et collective sans la levée des tutelles économiques et sociétales imposées par les Capitalistes, en Corse comme ailleurs.
Alors que se termine un processus de lutte vieux de 50 ans, il est plus que temps de travailler à la création d’une démarche unitaire au sein de laquelle des militant.es issus d’horizons différents apprendraient à s’écouter et à rechercher les voies d’accords sur des principes essentiels, pour la rupture avec le Capitalisme et pour la promotion de la Liberté. Le chantier est ouvert, il ne manque plus que les bonnes volontés, de celles et ceux qui veulent fédérer et mobiliser pour un véritable changement de société.
Didier Ramelet Stuart (A Manca)