Mascarade municipale : la fable du roi, du pauvre et du bouffon
En ces temps de fièvre électorale où l’appétit du pouvoir, l’hypertrophie des ego laissent parfois songeur même le militant le plus désabusé, me revient en mémoire une historiette ancienne, une fable à la fois naïve et juste, tendre et cruelle que je tenterai de retrouver pour qui daignera bien me lire.
Il s’agit de la fable du roi, du pauvre et du bouffon.
Il était une fois dans une petite cité endormie de Corse, un roi à l’orgueil démesuré qui prétendait dominer ses semblables jusqu’au tombeau. Ce roi ne reculait devant rien pour pérenniser son hégémonie sur la ville. Régnant grâce à la peur qu’il inspirait, à l’ignorance des pauvres qu’il entretenait, il parvenait à convaincre les foules que le mal était le bien, le légal, le légitime, le faux, le vrai et le riche, le beau.
Bonimenteur et magicien de renom, il prétendait multiplier les millions de son budget comme Jésus- Christ les pains. Illusion!
Mais, au bout de décennies de règne sans partage, lui vint la crainte de perdre son sceptre précieux. Cette crainte était née de sa rencontre avec un pauvre hère, vivant en dehors de la ville, dans une masure délabrée. Un jour qu’il l’avait rencontré alors que le pauvre se chauffait au soleil sur le pas de sa porte entrouverte, le Roi, juché sur son blanc destrier, avait constaté avec stupéfaction, la hardiesse du pauvre hère qui avait osé l’interpeller. Il voulait savoir s’il était vrai que le monarque comptait faire raser par ses hommes le bosquet voisin pour le transformer en luxueuse, inutile et énième résidence royale, destinée à accueillir le fleuron de la Cour. Il voulait lui dire que ce n’était pas possible, qu’il n’était pas d’accord et ne laisserait pas faire une vilenie de la sorte. Ébahi devant une telle audace, le roi avait gardé le silence et s’était abstenu de toute réponse.
Mais en son for intérieur, la peur de la contestation, puis de la chute, croissait.
C’est alors qu’il imagina un stratagème des plus retors. Après moult recherches, il engagea un faire-valoir, une ombre gauche et empruntée auquel il assigna la fonction de bouffon, d’amuseur du petit peuple. Il pensait ainsi divertir la foule, la détourner du sentier de la guerre, apaiser sa juste colère et la maintenir en esclavage à peu de frais.
“Un bouffon” pensait-il, “c’est une sorte de double inverse, d’image de soi plus sympathique mais ridicule. C’est celui que chacun est libre de moquer”. Le bouffon présente l’avantage de se nourrir des miettes de la table du maître tout en donnant l’illusion de le combattre, de le critiquer et même de dénoncer ses abus de pouvoir alors même qu’il se glisse sur ses traces tout au long du chemin. Le bouffon, rappelons-le, n’existe pas sans le roi, pas plus que le roi ne conserve son pouvoir sans le concours de son dévoué bouffon.
Après toutes ces interminables réflexions, ces calculs, ce déploiement de stratégie, le roi invita le pauvre hère révolté et quelques autres gueux de la même engeance à se rendre au château afin d’assister à une représentation inédite donnée par le bouffon.
Peu de temps avant le flamboyant spectacle prévu, les pauvres hères lassés de se voir moquer sans trêve par le bouffon qui riait de leurs malheurs, décidèrent de mettre un terme à la farce.
Le soir de la fête royale, les conjurés, non sans s’être au préalable armés de pierres et de toutes sortes de projectiles amassés dans une des remises de la haute cour, se ruèrent sur le rimailleur effaré et l’expulsèrent de la ville sous des jets de pierres nourris. C’est ainsi que misérablement il fut chassé hors des remparts de la cité, rendu à sa véritable condition de créature servile. Le bouffon qui empruntait pour divertir les mots du roi qu’il détournait et amplifiait à loisir, subit donc le châtiment qu’il redoutait le plus au monde, le retour brutal à sa médiocrité, la plongée dans le monde de l’oubli.
Non contents d’ humilier et d’abattre tous les espoirs du faussaire, de l’ombre du maître, le pauvre hère et les siens poursuivirent leur reconquête du pouvoir et s’attaquèrent avec enthousiasme et entrain aux soldats hissés sur les murailles, arpentant le chemin de ronde. Ils prirent d’assaut le château dans un élan d’enthousiasme non dissimulé.
Qu’ainsi finissent tous les rois oppresseurs et leurs bouffons, victimes de la salutaire émancipation populaire. En ces temps où les puissants croient leur domination éternelle, cet exemple est à méditer.