Durant son Assemblée Générale du mois de Mai 2020, A Manca avait décidé d’être présente aux Élections Territoriales, tout en privilégiant la voie de discussions avec d’autres forces opposées au libéralisme et respectueuses des droits inaliénables du peuple corse.
Nous avons donc mené jusqu’à aujourd’hui de nombreuses discussions avec différents interlocuteurs (Core in Fronte, Inseme à Manca, Europe Ecologie Les Verts).
Nous livrons aujourd’hui un bilan de cette démarche d’ouverture et communiquons notre décision pour les élections territoriales à venir.
– Sur nos discussions avec Core in Fronte
Ayant ponctuellement soutenu ce mouvement lors du dernier scrutin municipal là où les orientations nous semblaient clairement axées à gauche (à Bastia notamment), il nous paraissait logique d’aborder avec eux la question des Territoriales. Démarche d’autant plus cohérente de notre part puisque nous croisons leur militant.e.s au sein de différentes mobilisations (Pour les droits des prisonniers politiques, contre la spéculation immobilière…) et ce depuis plusieurs années. Quelques échanges ont été possibles, dont deux réunions plus formelles en présence de Paulu Felice Benedetti. Malgré des convergences programmatiques constatées, y compris sur notre opposition commune aux logiques de prédation du Consortium, Core in Fronte a mis fin de façon unilatérale à ces discussions.
L’explication de l’échec de ces discussions ne réside pas dans une divergence de vue sur la laïcité. Les raisons sont à rechercher ailleurs.
Core in Fronte souhaite capitaliser sur le vote de tous les patriotes corses déçus de la gestion de la majorité territoriale sortante en réactivant les anciens mots d’ordre de la Lutte de Libération Nationale. Pour une partie de ce mouvement, il était donc exclu de s’afficher avec des anticapitalistes identifiés en tant que tels qui auraient éloigné certaines voix nationalistes. Il s’agît donc d’un désaccord important ; Core Fronte préfère porter un discours nationaliste interclassiste classique, teinté de social, qui permettra de toucher un électorat beaucoup plus large.
Depuis lors, nous avons pu constater avec amertume que ce mouvement a rejoint la cohorte de toutes les organisations du mouvement national (et même au-delà) qui banalisent et minorent la présence de néo-fascistes au sein des rassemblements en faveur des prisonniers politiques.
Notre constance dans le combat antifasciste n’est pas compatible avec cette tolérance dangereuse.
– Sur l’invitation d’Europe Écologie Les Verts.
Nous ne sommes pas sectaires et avons accepté d’échanger à deux reprises avec EELV et leurs alliés issus de scissions du P.S. Comme nous nous y attendions un peu, il y a entre nous un désaccord de fond et de forme.
Sur le fond, nous ne sommes pas pour «une croissance verte» et ne considérons pas que c’est le « capitalisme dur » qui menace la survie de l’humanité. C’est le capitalisme tout court qui menace de nous détruire. EELV ne comprend pas comment on peut s’opposer seul.es au capitalisme en Corse. C’est bien normal car ce mouvement se situe dans une logique d’aménagement du capitalisme, soit dans une logique réformiste, choix que nous respectons, mais qui ne correspond pas à la logique de rupture avec ce système dans laquelle nous nous situons.
Après avoir décliné un long programme (dont nous partageons plusieurs points) d’opposition aux politiques néo-libérales, EELV nous a proposé de faire alliance au second tour avec les nationalistes libéraux, au motif que les libéraux de droite seraient plus dangereux. Nous sommes sur ce point des plus sceptiques : ce positionnement économique, quel que soit son drapeau, produit les mêmes effets dévastateurs dans notre pays. Nombreux sont les Corses qui peuvent en témoigner dans tous les rughjoni de l’île. Sur la forme ce choix d’alliance au second tour ne nous convenait pas.
Malgré les nombreux points que nous partagerions sur les questions environnementales et sur la question des déchets, il n’a pas été possible pour nous de répondre favorablement à l’invitation d’EELV.
– Sur nos très nombreux échanges avec Inseme a Manca
Durant ces trente dernières années, un mur infranchissable a été dressé entre le mouvement ouvrier et le mouvement national corse, au détriment du projet de société.
Les directions nationalistes se sont alignées sur les intérêts de la petite bourgeoisie et les directions des partis de gauche sur la défense de la république française. Mais concernant le quotidien des Corses, ces directions se rejoignent sur des variantes plus ou moins régulées ou brutales du Libéralisme et de l’économie de marché.
Si on mais de côté le reliquat préhistorique de l’ancien clan et de la CFR qu’incarne aujourd’hui le PCF, restait à Gauche de la Gauche une organisation avec laquelle nous partageons au moins 90% d’axes programmatiques en terme de projet de société, à savoir Inseme a Manca.
Hélas, des décennies de structurations politiques autour de représentations différentes de la Corse ne peuvent être surmontées en huit mois. Mais nous avons pour notre part tenter de parvenir à un accord jusqu’à la dernière extrémité, jusqu’à aujourd’hui.
A Manca est une organisation ancienne disposant d’une cohésion interne. Les militant.es d’Inseme a Manca sont plus composites, avec des positionnements internes différents. Dans la dernière ligne droite des négociations la question de la « perception de la Corse au sein de la République Française » a tétanisé les débats. Nous avons pourtant précisé que le Droit à l’Autodétermination (sur lequel un compromis a été pourtant trouvé) ne serait pas le thème principal de la campagne, tant notre pays est ruiné par la prédation néo-libérale.
Un procès en sorcellerie a été intenté à un de nos militants pour sa prise de parole dans une conférence de presse de Patriotti pour la journée internationale des prisonniers politiques. Pourtant, notre engagement au sein de Patriotti est connu depuis des années. Pour Inseme a manca les choses ne sont « pas clairs » entre nos deux organisations sur tout ce qui touche à la question corse. En d’autres termes, au niveau d’Inseme a Manca, les conditions ne sont pas encore réunies pour s’allier et s’afficher publiquement avec des «nationaux corses» qui se vivent comme tels, au risque de faire éclater leur propre base militante et électorale écartelée sur cette question. Soit.
Une question a parachevé de faire capoter l’accord, la question d’un score électoral insuffisant dont personne ne se relèverait. Depuis le début, nous avions toujours dit que nous voyons ces élections comme une tribune permettant d’inscrire une voix anticapitaliste dans le débat publique et que le score serait surtout en relation avec la dynamique que pouvait créer, même chez les plus déçus et démobilisés, un accord historique. Nous n’avons pas réussi à convaincre Inseme a Manca qui nous a fait part aujourd’hui de sa position officielle ne pas souhaiter présenter une liste commune aux élections territoriales. Chacun assumera ses responsabilités au regard de cet échec.
– Partir seul.es ? Notre base ne soutien plus cette idée.
Nous avions anticipé tous les problèmes techniques et financiers pour partir seul.es, y compris l’opposition idéologique des Rédactions de France3 et de Corse-Matin. Nous avions mis en place un pôle de communication et élaboré un plan de campagne depuis un an. Mais la faisabilité technique d’une liste n’a aucun sens si la dynamique politique n’est plus au rendez-vous.
Sans concessions sur les principes qui nous animent, nous sommes habitués à rencontrer des questionnements et des exigences au sein de notre propre sphère d’influence, mais ce que nous avons pu voir et entendre au cours des mois écoulés nous posent un problème politique majeur.
Le premier enseignement de ces échanges avec nos sympathisant.es est que seule une démarche commune avec un partenaire aurait été de nature à rallumer une étincelle d’espoir. Le contexte très pesant de la crise sanitaire explique en grande partie des processus d’intériorisation individuels très négatifs, mais le problème est plus profond.
Nous sommes confrontés à un phénomène massif de démobilisation et de postures individuelles, voire individualistes.
La défiance envers les institutions dépasse de très loin ce que nous aurions pu imaginer, même de la part de personnes mesurées ayant un bagage intellectuel. On nous accuse même de trahir si nous aussi nous participions à ce « système ».
Le poids des bandes criminelles dans l’espace public corse pèse également sur les consciences, générant des attitudes de renoncement, de fuite et d’isolement. Est évoquée une nouvelle génération de jeunes affairistes criminels, sans repères, qui menace tout le monde, y compris les anciens. D’aucun.es sont convaincu.es, à tort ou à raison, que les élu.es n’ont plus aucune marge de manœuvre tant l’économie de l’île est quadrillée par les bandes criminelles. Les élu.es seraient nécessairement obligés de composer de manière passive ou active avec le crime organisé. En résumé, pour bon nombre de personnes, aucune remise en cause, aucun changement de société ne pourra émaner de ces institutions.
Les postures individuelles et individualistes se traduisent par l’illusion du confort et de stratégies de survie individuelles face aux catastrophes collectives à venir. Les postures sont très variées, mais beaucoup plus présentes qu’avant. Il y a l’inconséquence crasse de celles et ceux qui pensent qu’un simple engagement virtuel (Like) sur les réseaux sociaux est de nature à changer le monde. Il y a aussi la peur et le manque de courage. De même, une part de fatigue, de désespoir et de renoncement. Il y a également des personnes dont l’éthique et le courage s’arrêtent là où commence la fiche de paie. Et puis, d’aucun.es, pour des raisons de survie à moyen terme, ne veulent pas se compromettre sur le plan professionnel, tant les pressions sont fortes.
Pour conclure, nous prenons acte, à contrecœur, que les consciences ne sont pas mûres en Corse pour l’expression d’une démarche anticapitaliste indépendante.
Une liste commune avec un partenaire aurait été sans doute plus mobilisatrice pour bon nombre de ces personnes, mais ce n’est pas le cas. Nous ne pouvons pas aller aux élections sous notre propre bannière si notre propre base a choisi pour diverses raisons, de ne pas nous soutenir sur cette voie.
Nous maintiendrons notre combat aux services des luttes qui seront encore plus vitales quand une majorité territoriale d’essence libérale va prendre le pouvoir le 27 juin prochain. L’heure est à la préparation des résistances et des solidarités.
A MANCA