A Manca milite pour le droit à l’autodétermination du peuple corse et pour la restauration de tout ou partie de ses droits nationaux. Cette revendication s’appuie sur une analyse socio-historique de la réalité insulaire et se conforme à un projet d’émancipation reconnu par divers courants de pensée issus du mouvement ouvrier.
Les fondements historiques de la revendication.
Les quarante années de révolutions corses témoignent d’une aspiration profonde à la liberté, dont le gouvernement de Paoli fut le premier édifice.
Le projet de traité entre la Couronne de France et la Nation corse élaboré en 1767 mais non abouti, équivalait de facto à la reconnaissance de la souveraineté de la Corse. Du reste, il faudra attendre un décret de 1781 pour proscrire aux fonctionnaires du Roi l’utilisation du terme « Nation Corse ».
La Nation Corse devenue française est une situation de fait qui résulte d’une violente conquête militaire. Pour autant dès le début de la conquête il existait des dissensions dans l’appareil d’Etat français. En novembre 1774, le Comte de Marbeuf proposait déjà un projet d’autonomie interne pour la Corse (Lettre au Cardinal de Bernis) en opposition frontale avec le Duc de Choiseul sur la politique à mener en Corse.
En 1789, Pasquale Paoli, a adhéré aux idéaux de la Révolution française et s’est fait à l’idée d’une Corse autonome dans le cadre de cette République Révolutionnaire. Paoli a fait ce choix pour deux raisons : L’une de fond et l’autre plus conforme au principe de réalité et des rapports de force.
Sur le fond, l’égalité politique pour tous les citoyens constituait un but politique à atteindre pour Paoli. De ce point de vue, la Révolution française fut vécue comme un aboutissement à une échelle plus vaste que ne le fut celui d’un Etat corse indépendant. Dans ce cadre, le plus grand degré de Liberté politique donné au peuple corse par la Convention semblait acquis, le Directoire et la Garde Nationale étant sous le contrôle des paolistes.
En Juin 1791, Paoli et 7 000 gardes nationaux réprimèrent durement « les prêtres ignorants et fanatiques fauteurs de despotisme » (Lettre à Bartolomeo Buonaccorsi) auteurs de troubles à Bastia, ce fut l’épisode d’A Cucagna di Bastia. Difficile de faire mieux comme partisan de la Laïcité Révolutionnaire.
Le principe de réalité, celui d’une Corse saignée par une guerre d’annexion et la pacification de 1774, l’importance du parti français dans l’île, commandait à Paoli de trouver un compromis sans se renier.
C’est bien l’accaparement des biens nationaux par une minorité bourgeoise corse liée à l’exécutif Parisien et le début de la Terreur qui provoque la rupture avec la Convention. L’expédition de Sardaigne n’est qu’un prétexte, car les sources sardes montrent que dans la réalité les troupes corses fournies par Paoli on couvert la retraite des troupes marseillaises contre les dragons de Piémont Sardaigne qui s’apprêtaient à les massacrer sur les plages sardes.
On ne peut reprocher à Paoli son humanisme, son opposition à la peine de mort et sa volonté pour lui, comme pour son peuple, de demeurer libre sur sa terre, en état de légitime défense face à l’oppression.
Le Riaquistu culturel des années 70 suivi de la Lutte de Libération Nationale contemporaine s’inscrit dans ce droit fil historique. Il ne s’agît pas d’une construction fondée sur des mythes factices, mais bien de la réappropriation et de la continuité d’une lutte historique.
Les fondements idéologiques de la revendication.
Il serait fastidieux de reprendre tous les débats et toutes les positions exprimées par de grandes figures du mouvement ouvrier, Rosa Luxembourg, Kautsky, Renner, Otto Bauer (Théoricien de l’autonomie culturelle). Nous nous bornerons à évoquer les positions de Lénine, Staline, Trotsky et plus proche de nous, Gramsci.
En 1913, Staline publia « Le marxisme et la question nationale » et y définit la nation : » La nation est une communauté stable, historiquement constituée, de langue et de territoire, de vie économique et de formation psychique qui se traduit dans la communauté de culture ».
Staline suggérait que la meilleure solution à l’oppression nationale dans l’empire tsariste pourrait être « l’autonomie des unités autodéterminées comme la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine et le Caucase », mais soulignait que ceci ne serait possible que si le prolétariat russe luttait pour que ces Nations puissent prendre leur propre décision.
Reprenant les théories de Bauer, il précisa cette définition d’une façon dogmatique : » Il est nécessaire de souligner qu’aucun des indices mentionnés, pris isolément, ne suffit à définir la nation. Bien plus : l’absence même d’un seul de ces indices suffit pour que la nation cesse d’être nation… Seule, la réunion de tous les indices pris ensemble nous donne la nation. »
Selon cette définition très normative, plusieurs nations ne seraient pas reconnues comme telles. C’est ce qui s’est passé à plusieurs reprises dans l’histoire de l’URSS stalinienne, avec des conséquences catastrophiques pour les peuples opprimés et et/ou déportés. Durant des décennies les partis communistes staliniens relayèrent cette théorie en Europe. Cela explique les positions « Pour la paix en Indochine » ou « pour la paix en Algérie » du Parti Communiste Français qui n’a pas soutenu les luttes de libération nationale.
Pour Lénine, du point de vue de la théorie marxiste en général, le droit de libre détermination ne présente aucune difficulté. Les marxistes pourraient soutenir l’autonomie dans diverses circonstances, mais elle n’est pas un droit. Le seul droit conséquent dans le domaine national est le droit souverain de se séparer.
Lénine liait cette défense déterminée des nations opprimées au combat que doit livrer le marxisme contre toute idéologie nationaliste qui influence ou qui cherche à influencer le prolétariat.
Cela apparaît dans son texte « Du droit des nations à disposer d’elles mêmes » publié en juin 1914 : « La difficulté tient, jusqu’à un certain point, au fait qu’en Russie doivent lutter côte à côte le prolétariat des nations dominées et le prolétariat de la nation qui opprime les autres. Sauvegarder l’unité de classe du prolétariat dans sa lutte pour le socialisme, combattre victorieusement toutes les influences bourgeoises et archi réactionnaires du nationalisme, telle est la tache à résoudre. »
Les marxistes n’ont aucun intérêt à la création ou la préservation des « particularités nationales » des peuples, mis à part qu’elles font partie du capital scientifique et culturel de l’humanité future, lorsqu’elle sera libérée des classes et des nations. Mais, tant que le capitalisme existe, il opprimera les peuples. Le combat contre cette oppression, le soutien au droit à l’autodétermination des nations opprimées affaiblit le nationalisme bourgeois et renforce l’internationalisme prolétarien.
Le nationalisme bourgeois et l’internationalisme des travailleurs sont deux visions du monde irréductiblement opposées et c’est pourquoi la question nationale qui interpelle les travailleurs d’une nation dominée ne doit pas être abandonnés aux nationaux populistes et libéraux qui ne défendent que « la culture nationale », en Corse, comme ailleurs.
En juillet 1939, en réponse à un article écrit par un militant stalinien, Trotsky apporte les précisions suivantes sur la question nationale ukrainienne :
« Le sectaire auteur est bien entendu opposé au mot d’ordre de l’Ukraine soviétique indépendante. Il est pour la révolution mondiale et pour le socialisme – « racines et branches ». Il nous accuse d’ignorer les intérêts de l’U.R.S.S. et d’abandonner la conception de la révolution permanente. (…) Notre critique répète à plusieurs reprises ma déclaration sur le fait que le destin d’une Ukraine indépendante est indissolublement lié à la révolution prolétarienne mondiale. (…) Le droit à l’autodétermination nationale est bien entendu un principe démocratique et pas socialiste. Mais les principes authentiquement démocratiques ne sont soutenus et réalisés à notre époque que par le prolétariat révolutionnaire ; c’est pour cette raison même qu’ils sont aussi étroitement entrelacés avec les tâches socialistes. (…) Ayant construit un Etat ouvrier sur le compromis d’une fédération, le parti bolchévique a inscrit dans la constitution le droit des nations à la séparation complète indiquant par là qu’il ne considérait pas du tout la question nationale comme réglée une fois pour toutes. (…) Le mot d’ordre d’une Ukraine indépendante ne signifie pas que l’Ukraine demeurera pour toujours isolée, mais seulement qu’elle déterminera à nouveau pour elle-même, de sa propre volonté, la question de ses relations avec les autres composantes de l’U.R.S.S. et ses voisins occidentaux. »
Pour Trotsky, comme pour Lénine, la question nationale est liée aux conditions de développement historique d’une société en devenir. ll ne peut donc y avoir une position figée sur la question nationale. Passer de l’impérialisme réel au Socialisme suppose une transition politique où les compromis entre taches démocratiques et taches socialistes sont possibles et souhaitables.
Dans les années 1920, abordant la Question Méridionale, le communiste sarde Antonio Gramsci fait preuve d’une réelle indépendance intellectuelle vis-à-vis de la révolution bolchevique. Partant d’une analyse des rapports de production en Italie et dans ses colonies d’exploitation du Sud, il affirme : « Le prolétariat détruira le bloc agraire méridional dans la mesure où il réussira, à travers son Parti, à organiser en formations autonomes et indépendantes des masses toujours plus importantes de paysans pauvres (…) ».
En définitive, c’est aux travailleurs directement concernés à s’auto organiser à partir de leur propre réalité pour trouver leur propre voie vers le socialisme, en solidarité politique avec les prolétaires du Nord. Ce mot d’ordre est toujours d’actualité en Méditerranée.
Antonio Gramsci avait bien analysé ce qu’il appelait les colonies d’exploitation méridionales. Ainsi les masses paysannes du Sud défrichaient et cultivaient au profit de la bourgeoisie du Nord de l’Italie et la bourgeoisie sarde était elle-même dépendante du système bancaire italien. La situation n’est pas comparable aujourd’hui en Corse. En effet la mainmise d’oligarchies familiales (LE CONSORTIUM) sur les secteurs économiques producteurs de plus value, concerne surtout la grande distribution, le BTP et l’industrie touristique. Cette bourgeoisie récente se plie aux orientations économiques décidées par les bourgeoisies françaises et européennes, à savoir, faire de la Corse une région exclusivement vouée au tout tourisme. Cela passe par la destruction du dernier secteur productif de l’île, l’agriculture, occasionnant un choc de classe frontale avec la petite paysannerie corse, dont l’intérêt se rapproche objectivement de plus en plus du monde du travail salarié.
Quelles que soient les orientations décidées par les élus corses sous tutelle française, tous les financements dépendent de l’accord et de la bonne volonté du Service Général des Affaires Corses de la Préfecture de Région. La direction politique qui impose ses choix au peuple corse est donc l’Etat français. Dans le droit fil des traditions des anciennes puissances coloniales, l’Etat français choisit ses interlocuteurs parmi les élites corses, y compris dans le mouvement national.
Le peuple corse est toujours sous la tutelle d’un gouvernement étranger à son histoire et à sa culture. La société corse est bloquée dans son développement libre collectif et individuel. Le fait colonial est ainsi une réalité.
A contrario, le droit imprescriptible à l’autodétermination reconnu par l’O.N.U suppose pour le peuple corse :
– Le libre choix de ses lois et institutions
– La maîtrise de ses infrastructures
– Le libre choix de son modèle de société
Le peuple corse ne peut s’épanouir que si les politiques qui s’exercent sur sa terre sont conformes à ses intérêts fondamentaux. Maintenir le Peuple corse sous tutelle ne peut se traduire que par sa disparition ou la réduction de son identité à un folklore régional.
Une position de principe et un processus, plus qu’une posture institutionnelle.
Les militant-e-s qui luttent pour une alternative au Libéralisme, ne doivent pas établir une échelle de valeur entre les différents mécanismes d’aliénation. C’est en ce sens que la revendication démocratique du droit à l’autodétermination est indissociable du combat de classe. Ce principe étant acquis, il ne faut pas opposer la question du « Droit à l’autodétermination du peuple corse » à la question purement institutionnelle.
En effet, il peut y avoir des militants indépendantistes, autonomistes, mais le ciment et la cohérence politique est la recherche de la liberté pour le peuple corse, cette liberté ne se concevant que comme la somme des libertés individuelles dans le cadre d’une communauté historique de destin et d’intérêt.
La communauté d’intérêt correspond à l’intérêt général, c’est-à-dire aux intérêts de classe du monde du travail, composante majoritaire du peuple corse. Il nous incombe de convaincre les éléments de diverses origines culturelles du prolétariat de leur intérêt fondamental à rejoindre la légitime lutte du peuple corse. Nous ne voulons pas reproduire en Corse une dualité historique, comme le système capitaliste l’a créé en Irlande. Nous ne voulons pas que les travailleurs de la nation dominante, de la nation dominée et issus de l’immigration s’affrontent, alors qu’ils ont tout intérêt à défendre leur intérêt de classe dans le cadre d’une société corse débarrassée des mécanismes d’exploitation. Cette dualité d’affrontements correspond en fait aux intérêts des nationalismes bourgeois français et corses : diviser pour mieux aliéner.
Le droit à l’autodétermination ne peut se concevoir que dans le cadre d’un processus qui permet au peuple corse de s’emparer progressivement de leviers politiques et économiques. Cette liberté d’action ne peut se concevoir en dehors de la prise en compte des rapports de forces mondiaux et de la géopolitique méditerranéenne. Toute évolution vers plus de liberté ne se résume pas à un pseudo clivage entre autonomistes modérés et indépendantistes radicaux, mais entre militant-e-s politiques exprimant clairement un projet de société vers davantage de liberté collective et individuelle. Dans un premier temps la revendication transitoire la plus urgente et réaliste est l’obtention d’un pouvoir législatif.
Nous ne pouvons dissocier le projet d’un socialisme autogestionnaire en Corse, de cette possibilité d’expérimenter à nouveau des droits démocratiques.
C’est au peuple corse de choisir les rythmes et degrés de liberté compatibles avec les moyens de sa propre survie et de la pérennité de ses droits fondamentaux.
L’autosuffisante est un objectif noble mais totalement irréaliste dans les conditions actuelles.
Cette lutte ne peut se concevoir sans l’alliance des travailleurs des Etats dominants et des nations dominées, et en ce sens l’internationalisation de la revendication démocratique corse et le renforcement des liens avec les camarades, qui en Europe et en Méditerranée, défendent un projet socialiste démocratique, s’avère une nécessité tactique et stratégique.
De plus, nous croyons en l’avènement d’une Corse démocratique inscrite dans un vaste espace confédéral et solidaire. A l’opposé de tout nationalisme, nous sommes pour une démarche résolument internationaliste qui place la Corse en tant qu’acteur, au cœur des liens entre les peuples de Méditerranée et de l’Europe.
A MANCA