Les prochaines élections municipales de 2020 revêtent des aspects politiques majeurs. Elles se déroulent trois ans après la victoire de la coalition Pè a Corsica aux élections régionales et à mi-chemin entre deux élections régionales, celles de 2017 et celles de 2021.
Quelle marge de manœuvre pour la majorité régionale ?
Le bilan de l’actuelle majorité régionale, après les trois premières années de mandature va être au cœur des débats.
On peut escompter que les oppositions, -droite et macroniste confondues- ne vont pas manquer de mener campagne sur ce bilan. Mais la majorité régionale doit aussi faire grand cas des interrogations, voire du désarroi et de la colère, qui animent des pans entiers de l’électorat nationaliste, jusque dans ses strates les plus militantes.
En optant pour une forte institutionnalisation de leur démarche politique, les formations qui composent l’actuelle majorité sont également traversées par de multiples phénomènes dont la course au leadership n’est pas le moindre des obstacles à franchir.
Macron et son gouvernement, qui se sont refusés à prendre en compte les résultats électoraux de décembre 2017, font et feront encore tout leur possible, pour tenter de faire échouer l’actuelle majorité régionale. Le refus d’un dialogue réclamé par celle-ci vise clairement à la délégitimer aux yeux du peuple corse et à créer les conditions de son éviction du pouvoir.
A ce premier aspect s’ajoutent d’autres sujets qui vont marquer fortement, à n’en pas douter, ces élections.
La question sociale : la paupérisation du monde du travail corse
La question sociale y occupe une place centrale. Déjà dramatiquement marqué par une paupérisation de masse, le monde du travail au sein duquel les femmes et la jeunesse sont particulièrement touchés, se trouve également percuté de plein fouet par les politiques antisociales de Macron. Les travailleurs pauvres se comptent désormais aussi bien dans les rangs des salariés du privé qu’au sein des très nombreux agents contractuels des diverses fonctions publiques.
Sous l’égide du néo-libéralisme ambiant, la spéculation immobilière a permis une multiplication inédite des résidences secondaires avec une inflation des prix, -phénomènes qui engendrent une cherté insupportable de l’accession au logement pour les classes populaires-.
Le vieillissement de la population et la mutation des modes de vie au sein de la société corse, occasionnent l’augmentation des besoins, en termes de prise en charge sanitaire, comme en termes de prise en compte de la dépendance.
Le faible niveau de rémunération des pensions de retraite et la cherté du prix moyen de journée dans les établissements spécialisés font peser sur les personnes âgées et leurs entourages des pressions financières qui vont jusqu’à la liquidation des patrimoines familiaux.
Le secteur privé en pleine expansion est amplement favorisé par l’Agence Régionale de Santé et ce au détriment du service public. Les conséquences sont donc lourdes pour les ayant-droit et les salariés, lesquels évoluent dans un contexte marqué par une insuffisance de personnel et des niveaux de rétribution très bas.
Particulièrement affectées par le vieillissement des populations, les zones rurales ne parviennent plus à répondre aux besoins de celles-ci, ce qui accentue une désertification qui néanmoins profite à de nouveaux investisseurs, eux, détenteurs d’importants moyens financiers. Les zones urbaines ont donc à charge outre l’accompagnement de leurs propres populations, celle désormais des populations des personnes en provenance des zones rurales.
S’attaquer à la charge mentale et créer les conditions d’une parité comme d’une égalité salariale hommes/ femmes
Poursuivant dans le registre des inégalités insoutenables, non plus territoriales mais liées cette fois au genre, la question de la place accordée aux femmes ne peut que s’imposer dans les débats lors des prochaines municipales. Rappelons en effet le contexte pesant d’aliénation subie par les femmes corses dans une société toujours corsetée en 2019 par des valeurs patriarcales fortement ancrées et trop souvent intériorisées par certaines femmes.
C’est tout d’abord, dans cette optique, la « charge mentale » qui est l’ennemi. Opprimées par la masse de travail harassante d’une gestion polyvalente imposée, à la fois dans les tâches domestiques -encore trop souvent complètement ou majoritairement assumées par elles- et professionnelles, les femmes pâtissent donc de ce que les sociologues ont pu appeler la « charge mentale ». Notons qu’elle se trouve à l’origine de nombreuses dépressions et autres « burn out ».
C’est la raison pour laquelle, à l’échelon municipal doit s’engager une politique dynamique de services publics favorisant la multiplication de services divers à la personne répondant aux besoins des femmes. Ces services sont le plus souvent par exemple l’accès à des crèches ou garderies à horaires flexibles et aménagés pour en faciliter l’accès aux salariées. Les entreprises du privé et divers employeurs para-public doivent également mettre en place ces services. C’est souvent la naissance de plusieurs enfants qui contraint la mère à se mettre à temps partiel et, de là, à se paupériser et à fragiliser sa position sociale. Ainsi, les conditions de la garde des enfants demeurent un enjeu majeur d’émancipation.
L’autre inégalité insupportable s’exprime en termes de salaire et de revenu.
De fait, encore à l’heure où nous parlons, les femmes gagnent à niveau de compétence égal 20% de moins que leurs collègues masculins dans le secteur privé. Il paraîtrait conséquent au nom de la justice sociale de proposer par exemple à l’échelon municipal, une indemnité allant aux mères célibataires ou travaillant à temps partiel dans la commune.
Enfin, que dire de la réalité de la parité en matière politique lorsque les dernières élections municipales nous offrirent l’épouvantable spectacle des élections municipales de Pruprià ou quand plus récemment, on songe à la Une pitoyable du Journal de la Corse évoquant les « Simeonettes » ? C’est une parité de facto imposant 50% de femmes à compétences égales à tous les postes à responsabilité exécutive qu’il nous faut exiger et ce, à tous les échelons de gouvernance. Pourquoi, dans ce cadre, ne pas généraliser cette pratique à l’échelon municipal, échelon le plus proche des préoccupations citoyennes ?
Vers l’émergence d’une écocitoyenneté ?
Les questions relatives à l’écologie vont s’avérer également très prégnantes.
Que ce soit la problématique des traitements des déchets (collecte, tri, résorption et stockage) ou celles des pollutions diverses, toutes contribuent à faire peser sur notre société des risques majeurs, aussi bien dans le domaine de la santé que dans le champ économique. Bien davantage, elles hypothèquent l’avenir de générations futures, leur faisant porter le poids d’héritages politiques dévastateurs dont ils sont d’ores et déjà les victimes.
Par exemple, la privatisation quasi généralisée de la gestion des eaux par le monopole de Véolia fait de cette ressource naturelle le lieu de production de colossale plus-values et fait en corollaire, porter un poids financier toujours plus important à la population. Nos espaces naturels, littoraux et montagneux, sont au centre d’enjeux tant du point de vue de l’équilibre des systèmes écologiques, que des points de vue économiques et sociaux. Les tentatives de privatisation de ces espaces par une minorité d’exploitants, s’inscrivent dans le cadre plus large du développement de l’industrie du tourisme.
Les localités situées sur ces espaces naturels subissent la pression constante des lobbies liées au secteur de l’immobilier et du tourisme de masse. Que ce soit avec l’assentiment de municipalités qui leur sont favorables ou par les moyens d’une propagande de tous les instants, lorsqu’il n’y a pas recours à des menaces, ces lobbies œuvrent à capter l’argent public afin de réaliser des infrastructures nécessaires à leurs projets (routes, adduction d’eau, réseaux de traitements des eaux usées, connexion aux réseaux distributeurs de l’énergie électrique, infrastructures portuaires et aériennes). Ils tentent également d’influencer les décideurs dans le cadre des cartes urbanistiques et donc d’obtenir des Plans Locaux d’Urbanisme taillés à la mesure de leurs ambitions. Ce sont ces secteurs qui participent d’une offensive contre le PADDUC, avec la complicité objective de l’actuel gouvernement et des franges issues du mouvement nationaliste, alliées pour cette occasion avec la droite régionale.
L’enjeu majeur de la concrétisation d’une citoyenneté corse
La citoyenneté et ses déclinaisons concrètes sont la clé de voûte de ces élections. Avec la remise en question du concept de « communauté de destin » et/ou du droit du sol par des individualités et des groupes tous d’obédience d’extrême droite, ce sont les populations de travailleurs (et leurs familles) issues de la rive sud du bassin méditerranéen qui font l’objet d’un ostracisme croissant.
Privées du droit d’expression minimum que constitue le droit de vote, ces populations qui contribuent fortement à l’activité économique et sociale par leur travail et qui alimentent les flux de cotisations retraites et maladies, sont, ne l’oublions pas, également soumises à l’impôt. Pour autant, et sous l’influence néfaste de l’extrême droite, elles sont régulièrement désignées comme responsables du chômage et du mal de vivre.
Les effets d’un système économique fondé exclusivement sur l’économie de marché affectent particulièrement l’avenir des filières liées à l’agro pastoralisme. C’est ce « mode de développement » qui, en privilégiant l’industrie du tourisme, facilite et accélère la disparition des terres cultivables et des parcours pastoraux. C’est aussi ce système qui crée les conditions d’une concurrence extrêmement défavorable aux productions locales.
En vidant les zones rurales de leur substance humaine productive, le néo libéralisme entend façonner les espaces au seul bénéfice de ses intérêts. Par ailleurs, des réseaux de captation frauduleuse de subventions font peser des menaces directes sur les paysans et éleveurs qui tentent de vivre des fruits de leur travail, tout en créant des inégalités intolérables entre les bénéficiaires de ces captations et les nombreux autres agriculteurs lésés et spoliés.
Le fond patrimonial public de notre pays n’échappe pas à la mise en coupe réglée déjà en cours. Le devenir de bâtiments qui tous appartiennent à notre histoire commune, s’avère gravement mis en danger. En tentant de les livrer à des intérêts privés (particuliers et grands groupes hôteliers), des municipalités contribuent à la privatisation de ce patrimoine à la dimension culturelle indéniable.
Donner toute leur place à ces sujets et amener les candidats à les prendre concrètement en considération
A MANCA ne fait pas des phénomènes électoraux l’alpha et l’oméga de l’action politique. Nous sommes convaincus, par l’analyse de l’histoire des sociétés, des peuples et des classes sociales, que rien n’avance sans l’intervention directe des citoyens dans le cadre de luttes de terrain.
Nous ne sommes pas de ces apprentis sorciers, qui, au nom d’une posture inconséquente et irresponsable, jettent le fait électoral aux oubliettes de l’histoire. C’est dans l’articulation des luttes avec l’exercice direct de la citoyenneté que peut se dessiner la forme majeure d’une autogestion, elle- même constitutive de la pratique dynamique du droit à l’autodétermination des peuples. Dans cette perspective l’indépendance politique des classes laborieuses est LA condition d’une voie vers l’éradication de toutes les formes de dominations.
L’édification d’une forme moderne de démocratie passe par des ruptures avec cette délégation des pouvoirs qui constituent le cadre des institutions actuelles. Le contrôle collectif permanent sur les points essentiels de la vie en communauté fonde également notre démarche. C’est un des éléments de l’autogestion.
Les villages et les quartiers populaires des villes sont les principaux lieux de vie de la majorité du peuple corse et de ses forces vives. Nos habitats et nos lieux de travail sont les espaces matériels où le Bien Commun prend toute sa dimension.
Le projet de société pour lequel nous militons passe par l’auto-organisation à la base du peuple. A ce titre les municipalités sont une des premières pierres de l’édifice de cette horizontalité des décisions et de leurs applications dont nous sommes privés en tant que classe et en tant que peuple. C’est donc à une démocratie directe vers quoi nous devons tendre.
Une fois exposées les thématiques qui doivent être absolument au cœur des prochaines élections municipales, encore convient-il de les replacer dans un contexte qui ne peut en aucun cas faire l’impasse d’une dimension essentielle. Les espaces communaux ne sont pas des entités en « apesanteur ». Ils sont partie intégrante de l’espace politique, social et culturel de la nation corse. Toute autre considération, comme le corsisme et ses avatars régionalistes, constitue le faux nez du néo-colonialisme.
Ce temps politique touche donc notre peuple au plus près de ses préoccupations immédiates.
Relever les défis et éviter les pièges
Un danger menace cependant ce moment. C’est celui d’une hyper personnalisation qui tente de faire passer le discours politique au second plan. Le clan s’est particulièrement attaché à cette forme d’intervention de terrain en brouillant les lignes.
Un second risque est à prendre en considération. Le gouvernement Macron, (après avoir négligé, voire méprisé les institutions communales) joue désormais ouvertement la carte des maires contre le mouvement national. Ces élus qui ont en commun leur refus de considérer la Corse comme une nation ont également dans leur collimateur les espaces mer et montagne qu’ils souhaitent dégager de toutes règles urbanistiques. Ils sont en accord total en cela, avec le patronat des secteurs des transports, de la grande distribution et du bâtiment, tous regroupés dans l’industrie du tourisme.
A ces premiers éléments, s’ajoutent la problématique d’une démographie néo-résidente galopante et des enjeux qui concernent le présent et le futur de nos espaces naturels mer et montagne. Avec 1, 5 % d’augmentation annuel de la population, notre pays est celui qui connaît la plus grande progression numérique des populations résidentes.
Dans une grande proportion, ce phénomène est occasionné par l’arrivée massive de propriétaires de résidences secondaires. Cette néo-colonisation est rendue possible par une économie de marché qui dicte sa loi.
A contrario des discours imbéciles et potentiellement criminels propres aux fascistes de toutes obédiences, ce ne sont pas des migrants issus de diverses contrées du continent africain qui menacent notre société, mais des milliers de détenteurs de capitaux conséquents, en particulier ceux détenus par des retraités à fort pouvoir économique venus de France et des pays de l’Europe du Nord.
Au regard de ces premiers éléments d’appréciation, il est vital de politiser ces élections à venir afin que ces enjeux retrouvent la place centrale qui leur est due. Toutes les questions qui interpellent notre quotidien doivent être abordées selon ce prisme. C’est le fait politique qui doit guider tous les projets de société. Le clanisme et le néo clanisme doivent être combattus avec la même détermination que le néo colonialisme promu par l’État français.
La prise en compte de tous ces facteurs conduit A Manca à la diffusion de cette première résolution dans la perspective des élections municipales.
Définir une démocratie fondée sur une citoyenneté active
La démocratie formelle fondée sur la délégation de pouvoir et des institutions locales conçues pour contrôler le corps social sont autant d’obstacles dressés sur le chemin de la lutte d’émancipation du peuple corse.
Les élections municipales à venir doivent être la traduction des mobilisations de terrain sur les aspects sociaux, politiques et culturels.
Le pouvoir français, en l’absence d’un corps électoral corse fondé sur les principes de la communauté de destin, s’est engagé à faire des prochaines élections municipales une machine de guerre destinée à saper l’implantation du mouvement national.
Le flou entretenu par les formations de l’actuelle majorité régionale au regard de leurs projets de société, laisse le terrain libre à un néo libéralisme toujours plus prédateur.
En se fondant sur les points exposés dans cette résolution, A Manca appelle les forces vives de notre pays à rejeter la pratique du « chèque en blanc » que constitue la démocratie formelle.
Sans rien remettre en cause du droit de vote, il s’agit d’articuler mobilisations de terrain et moments électoraux pour une démocratie participative ouverte à toutes celles et ceux, quelle que soit leur origine, qui par leur travail contribuent au bon fonctionnement de notre société. Le cadre historique d’exercice des droits imprescriptibles du peuple corse est la NATION, part consciente d’un peuple mobilisé pour ses droits. Les municipalités sont le premier échelon d’organisation du peuple corse, là où se met en œuvre le Bien Commun des citoyens.
Dans les mois qui viennent, nous proposerons au débat l’ensemble des points développés afin que soit rédigée une plateforme qui concrétise l’unité à la base de toutes celles et ceux qui souhaitent un véritable changement. Nous serons particulièrement attentifs à mobiliser toutes les volontés afin qu’une parité totale femmes/hommes soit au cœur de toutes démarches.
A l’heure où grondent les voix de l’extrême droite en Corse comme en Europe et sur bien des lieux de la planète, la dimension de la lutte d’émancipation, phénomènes électoraux inclus, passe par un rejet absolu du racisme, du sexisme et de la xénophobie.
A l’issue d’un processus fondé sur des débats, nous soumettrons une plateforme susceptible de favoriser l’unité à la base des classes populaires qui sont la majorité du peuple corse.
A Manca