BASTIA : 5000/CAZENEUVE : 00
Samedi 20 février 14h, des milliers de personnes sont mobilisées pour exiger que justice soit rendue au jeune Maxime, grièvement blessé par un tir tendu de flashball. Ceux qui spéculaient sur un déchaînement de violence en sont pour leurs frais. Eu égard au déploiement de force avéré dans les rues de Bastia, le contribuable serait à n’en pas douter curieux de connaître le montant de la facture après que Cazeneuve a exigé la venue en renfort de centaines de CRS et gendarmes mobiles. Au passage, constatons qu’en pleine cure d’austérité, ce gouvernement dépense sans compter pour des objectifs qui relèvent de manœuvres de basse politique.
Les organisateurs de la manifestation ont pour leur part, fait preuve de lucidité et d’un indéniable sens politique, contribuant à élever ainsi le niveau général de conscience de l’intérêt général. En déjouant le piège tendu par le ministre de l’intérieur, ils ont marqué des points dans l’opinion publique corse. Cette maturité acquise et démontrée constitue aussi un enseignement. En dehors des habituels cadres politique, cette démonstration d’auto-organisation est à la fois un révélateur et un phénomène inédit qui secouent l’ensemble du champ politique et social.
- Un régime d’impunité permanente
La liste est longue, trop longue de jeunes qui ont, soit perdu la vie, soit reçu de terribles blessures et subi quantités d’humiliations et vexations, ce qui constitue également de graves traumatismes psychologiques. Le problème qui se pose ici dépasse largement la question du mode opératoire, de la manière dont est utilisé le matériel en dotation au sein des forces dites de « sécurité ». On est en droit de s’interroger quant au climat qui règne au sein des institutions dont la fonction et les missions sont selon les discours étatiques, d’assurer, de garantir et de préserver l’intégrité matérielle et morale du citoyen lambda.
Selon les faits têtus, les « bavures » sont révélatrices de l’état d’esprit non seulement de ceux qui les commettent, de leurs hiérarchies et des politiques qui manipulent à l’envi les thèmes de la peur et de l’insécurité. Le racisme et la xénophobie sont des maux qui affectent (hélas) une partie du corps social. Par quel miracle, la police en serait-elle indemne ? Au regard des procédures qui ont abouti à des procès, force est de constater que la justice se révèle clémente avec les fonctionnaires suspectés de violence dans l’exercice de leurs missions.
Ce racisme et cette xénophobie trouvent des cibles d’origines diverses mais de même condition. Ici le migrant de Calais, là le jeune issu des banlieues, le syndicaliste insoumis, le militant écologiste au look stigmatisé, et dans le cas qui nous intéresse, le supporter d’un club, lui-même issu d’une île au sein de laquelle, certains ont l’impudence de se vouloir différents, d’être politiquement « incorrects » et de ne pas faire allégeance.
Et c’est bien cela qui se trouve à l’origine des violences policières perpétrées à l’encontre des supporters bastiais. Le climat a été créé par le déchaînement des politiques tricolores, qui, au lendemain du succès électoral des nationalistes, se sont livrées à des commentaires et déclarations non seulement plus qu’hostiles à l’encontre de ces derniers, mais au-delà, à l’ensemble de la société corse.
La haine politique qui s’est répandue après le discours en langue corse de J.G Talamoni a certes infecté les réseaux sociaux de l’hexagone.
Toutefois, ceux qui se sont montrés les plus virulents appartiennent à la classe politique française, de Mélenchon à Le Pen. Nous sommes certains que ce climat a conditionné pour partie, l’attitude de certains des flics qui ont chargé les supporters bastiais.
Alors s’il y a procès (ce dont on peut douter malgré la forte mobilisation), devrait être déférés devant les tribunaux toute la chaîne des responsables. Or, il est évident que les porteurs de la raison d’Etat ont un besoin vital de leurs bras armés. C’est pourquoi au nom de ce qu’ils entendent relever de leurs intérêts supérieurs, ils tentent de leur garantir un régime d’impunité permanent. Et c’est bien à cela que vont se heurter celles et ceux qui réclament la vérité et la justice pour Maxime.
Mais il ne peut être question de se trouver face à cette parodie de justice, au nom de laquelle, des juges viennent quant à eux de condamner à 10 mois de prison dont 5 fermes, Rémi, pour l’exemple, en manière de grossière provocation.
- Une manifestation en dehors des partis
Ce qui apparaît comme un phénomène inédit est bel et bien l’organisation d’une manifestation en dehors des partis et syndicats et en particulier, ceux du mouvement national. Cette auto-organisation fait la démonstration concrète que, d’une part, cela est possible et que d’autre part des pratiques démocratiques peuvent voir le jour en dehors du jeu institutionnel et dans ce cas d’espèce, en rupture avec celui-ci. Nous voulons rappeler en cette circonstance à quel point ce modèle de l’auto-organisation envisagé comme modus operandi des luttes sociales au sein du monde du travail corse a toujours été porté par notre organisation.
La leçon est rude pour les formations encore majoritaires au sein du mouvement national. Les voilà désormais prises en étau entre le pouvoir étatique et une nouvelle génération qui n’entend pas désormais se contenter de la délégation de pouvoir, qui semble refuser de n’être considérée que comme une simple base électorale. Sans le vouloir, les dirigeants de Bastia 1905 ont dans les faits, réactivé des contradictions au cœur même du nationalisme. Désormais la balle est aussi dans ce camp.
Il est fort probable que les dirigeants de Femu a Corsica et de Corsica Libera ne tiennent pas du tout à dépasser ces contradictions en inaugurant une nouvelle conception des niveaux de lutte. Cela tient à la réalité de leur nature politique et ce, bien au- delà des discours de façade.
Dès lors émerge un risque majeur. Celui qui consisterait de leur part, à expliquer à l’Etat et à ces gouvernements présents et futurs que ces derniers doivent les considérer comme des partenaires uniques, faute de quoi on aboutirait au chaos de la rue. Mettre un seul doigt dans cette mécanique, les conduirait immanquablement à se fragiliser vis- à- vis de l’Etat français et/ou à opter pour une normalisation et donc pour une tentative de mise au pas de toutes les démarches qui n’iraient pas dans leur sens.
Il y a bien derrière tout cela, cet antagonisme de classes dont la petite bourgeoisie nationaliste nie l’existence, et pour cause. Sa domination politique et sociale sur le mouvement national, a pour but de satisfaire ses revendications spécifiques- tout cela au nom du bien commun. Mais l’édifice se morcelle et commence à s’effondrer.
- Nouvelle génération. Nouvelle donne.
Ils communiquent via les réseaux sociaux, parfois pour le bon, parfois pour le pire. C’est le propre de la parole dite hors des cadres conventionnels. Ils ne sont pas tous, loin s’en faut, étudiants, syndiqués ou encartés dans un parti politique. Beaucoup sont issus des zones péri-urbaines ou des no man’s land des périphéries rurbaines, toutes productions d’un urbanisme dément qui ne tient pas compte de l’Homme mais plus sûrement du tiroir-caisse des spéculateurs et de leurs affidés et complices politiques.
Le chômage et la précarité sur fond d’implosion des cadres sociaux, leur dessinent des horizons improbables. Alors ils se raccrochent à des lieux, les stades, à des identités conçues de bric et de broc, mélanges de références à une lutte souvent mythifiée et à des icônes, de Pasquale Paoli à Che Guevara. Mais ils peuvent être aussi tentés par des raccourcis, des « idées prêtes à penser ou tweeter » distillées aussi bien par les fast-foods médiatiques que par la facho-sphère qui infiltre leurs rangs en tentant d’y distiller le poison mortel du racisme et de la xénophobie. Cependant, ils viennent de faire un saut qualitatif, en se gardant d’être les vecteurs d’une grossière manœuvre politicienne et en se passant des doctes avis de l’establishment nationaliste. Et cette amorce de maturité est le fruit des expériences de ces derniers jours.
A partir de tous ces éléments, on peut désormais parler de nouvelle donne. Rien n’est définitivement joué et ce mouvement encore informe peut soit s’essouffler, soit opter pour deux directions : celle d’une radicalité révolutionnaire ou celle du marécage néo-fasciste. Sur fond d’exacerbations des tensions sociales, la période qui s’ouvre s’avère d’ores et déjà déterminante.
Le crétinisme électoral pourrait bien faire place à d’autres formes d’expressions politiques nettement plus novatrices et porteuses d’espoir.
A Manca.