Estelle Massoni était encore, il y a peu de temps, la jeune étoile montante du FN en Corse. C’est à ce titre qu’elle fut candidate à des élections sous la flamme tricolore des fascistes. En ces temps,ses communications sur les réseaux sociaux ne laissaient planer aucun doute, quand à la nature de son engagement. Elle y déployait la panoplie « idéologique » des lepénistes : lutte contre l’immigration, islamophobie et promotion de l’identité française.
Juillet 2015, changement de décor. Dans les colonnes de la presse locale, elle procède à son « coming out » identitaire. Elle divorce du FN pour se jeter dans les bras d’une branche nationaliste modérée, Femu a Corsica. Comme dans toutes les séparations, il lui faut charger d’opprobre ses anciennes amours. En substance, elle affirme que le FN n’a rien compris de la Corse, de son âme et de son peuple. Émoi chez le nouvel objet de toutes ses concupiscences ! Vaguement gênée aux entournures, la direction de Femu a Corsica, fait savoir qu’elle n’a en rien sollicité les faveurs d’Estelle Massoni et que si celle-ci opère une manœuvre de rapprochement, elle le fait de son propre chef.
Et l’organisation nationaliste modérée de rajouter, que les valeurs qui fondent sa démarche politique sont aux antipodes des thèses de l’extrême-droite. La prétendante n’est pas pour autant éconduite, mais il lui est signifié que les portes de Femu a Corsica sont ouvertes à la condition d’en adopter le profil idoine. Ces réponses dignes de l’ordre des Jésuites ne sont pas satisfaisantes pour les anti-fascistes que nous sommes. Elles ne le sont pas plus à l’aulne du combat pour le droit à l’autodétermination du peuple corse. Car la question n’est pas de savoir comment une militante d’extrême-droite veut se rapprocher d’une fraction du nationalisme corse. Il s’agit sûrement plus de comprendre pourquoi celle-ci (et bien d’autres encore) peut envisager de rejoindre un camp sans que cela ne bouleverse le corpus idéologique fondamental qui l’anime.
Opportuniste, Estelle Massoni l’est sans doute. Politicienne à la petite semaine, elle peut spéculer sur des perspectives de carrière. Après la victoire de Bastia et la conquête d’autres mandats électifs, il n’est pas impensable de voir les « modérés » accéder au pouvoir territorial. Et l’on se bouscule au portillon de Femu a Corsica dans l’espoir de décrocher une place d’éligible sur sa liste. En cela la néo-fasciste ne dépare pas , au beau milieu d’autres prétendants. Mais à lire attentivement la déclaration faite à la presse par ses soins, il est aisé de constater qu’elle ne rejette rien de ses « idées » de base. Elle souhaite tout bonnement les resservir sous un autre drapeau. C’est ce phénomène qui doit interpeller les consciences de celles et ceux qui prétendent encore à la défense de notre pays. Le cas d’Estelle Massoni fait aujourd’hui le « buzz ».
Au delà de l’agitation médiatique, il convient de noter que la porosité de toute une partie du mouvement national, autorise une extrême-droite multiforme à s’engouffrer dans une brèche, désormais béante. Le mouvement national ne rebute plus les apprentis fascistes. Pire encore, il en favorise la prolifération. Les faits têtus en témoignent : le glissement d’une importante part de l’électorat nationaliste en direction du vote FN, notamment lors des élections présidentielles de 2012, donne lieu à des analyses embarrassées de la part du PNC et de Corsica Libera. Leurs communications tendent à relativiser la portée de ce vote pour n’en faire qu’un épiphénomène. Il n’empêche que la candidate Lepen en faisant explicitement référence au peuple corse a séduit des électeurs nationalistes. D’autant qu ‘elle oppose dans ses discours, une identité corse, qui toujours selon ses propos, est à même de dresser une barrière contre l’immigration et l’expansionnisme islamistes. Cet électorat, qui tente de trouver des réponses à ses craintes et préoccupations diverses (chômage de masse, précarité) est laissé sous l’influence des médias qui matraquent l’opinion, en faisant la part belle aux discours hyper-sécuritaires.
Dès lors la tentative de ralliement d’une néo-fasciste doit s’appréhender dans une dramatique continuité, au- delà même des besogneuses tentatives de clarification du mouvement Femu a Corsica, qui, plutôt que de signifier qu’il n’a pas sollicité la transfuge du FN, aurait été plus inspiré en affirmant son refus radical des thématiques d’extrême-droite, notamment à l’égard des immigrés.
Parce qu’il ne suffit pas face à la montée des fascistes de balbutier quelques arguties humanistes, on serait en droit d’attendre alors, de mouvements qui se veulent émancipateurs, de mener le débat au sein même des rangs militants et sympathisants, électeurs compris. Comme il aurait été tout autant salutaire d’expliquer en quoi les immigrés ne sont pas les responsables de la crise économique, sociale, morale et culturelle qui ronge la société corse. Encore faut-il pour cela, en avoir la volonté et plus encore affirmer que la libération d’un peuple n’est pas compatible avec un système économique, qui demeure la cause indiscutable de l’effondrement de tous les cadres de vie. Ce que se garde bien de faire les organisations nationalistes électoralement les plus en vue.
La dépolitisation du mouvement national et donc le passage d’une conscience nationale collective à d’improbables expressions de sentiments nationaux, ne date pas de ce mois de juillet 2015. Elle trouve ses origines au cœur des années 80. Au moment même où les directions successives des FLNC abandonnaient des thématiques comme la voie corse au socialisme et réduisaient la revendication au droit à l’autodétermination à une simple déclaration d’intention, non suivie de faits.
En poursuivant une démarche d’institutionnalisation au détriment du processus de libération nationale et sociale, les fractions encore majoritaires du mouvement nationaliste, ont construit des appareils électoraux, favorisé l’émergence d’une caste d’élus et stérilisé les débats.
Ce conformisme constitue une allégeance au libéralisme. Et s’il satisfait aux intérêts de la petite bourgeoisie , ce système ne répond pas pour autant, aux aspirations populaires. La zone d’influence du nationalisme n’échappe donc pas aux effets dévastateurs d’un capitalisme qui transforme nos espaces naturels de vie et nos existences mêmes en marchandises. Le vote d’une large frange de l’électorat traditionnel du nationalisme corse en faveur du FN n’est donc pas anecdotique. Par sa persistance il met en lumière un fait aveuglant de clarté : pour ce qui concerne les affaires dites locales, les nationalistes bénéficient encore d’une certaine crédibilité. En revanche pour ce qui touche aux grandes orientations et enjeux nationaux français, le FN talonne l’ex UMP dans les urnes.
Cependant le cas d’Estelle Massoni ne peut masquer la réalité de la présence de groupuscules fascistes dont des adhérents et sympathisants évoluent déjà au sein de structures comme le STC. A ce fait, il convient de relever les activités de personnages comme Denis Luciani dont les écrits, articles, livres et communiqués tendent systématiquement à convaincre que le premier des dangers qui menace le peuple Corse est l’immigration en général et celle issue du Maghreb en particulier. Le mouvement Femu a Corsica, composé de la Chjama Naziunale et du PNC (Partitu di a Nazione Corsa) s’accommode de ses activités puisque à ce jour, il peut, non seulement se revendiquer de son appartenance mais également compter sur des soutiens, comme à l’occasion du renouvellement des instances de l’association des parents d’élèves (Associu di i parenti Corsi) dont il est le président régulièrement reconduit.
Encore globalement à la périphérie du mouvement national, s’agitent des associations objectivement de nature fasciste. Le cercle Petru Rocca, Cristiani Corsi, Sangue Corsu et Corsica Patria Nostra constituent une trame, fondée sur des réseaux, où se croisent et s’entremêlent d’anciens légionnaires, des nostalgiques de la Muvra, des catholiques intégristes et des personnages jusqu’alors connus pour leurs engagements au sein du nationalisme corse. Denis Luciani est en sympathie de ce ramassis de fascistes et ses productions reçoivent une publicité sur leurs supports médiatiques. Mais il n’est pas le seul à se compromettre.
Au sein d’une association dont l’objet est de perpétrer la mémoire de Ponte Novu, s’activent des militants qui se revendiquent de l’indépendance. Lors d’une initiative publique, ces mêmes, invitent plaisamment celui qui assure toujours la promotion du Livre Vert (a libertà o a morte), autrefois document théorique du FLNC première mouture. Jean-Pierre Santini, ex maoïste, connu pour avoir fondé une myriade de groupes d’obédience indépendantiste, n’a pas répugné à participer à des débats en compagnie de membres d’associations fascistes précédemment citées. Et c’est ainsi que l’ouvrage dont il revendique la rédaction, le Livre Vert, figure en bonne place sur le site internet de Corsica Patria Nostra, dont les liens avec l’internationale noire animée principalement par les fascistes italiens , sont de notoriété publique. Les objectifs de cette fraction de l’extrême-droite sont limpides : il s’agit de récupérer le maximum de nationalistes désorientés par les évolutions du mouvement national et de s’auto-légitimer en tant que fer de lance de la dynamique d’émancipation du peuple corse.
Les cibles de ces nervis d’extrême-droite sont multiples. Les groupes de supporters de football, notamment ceux de la région bastiaise, les parents d’élèves, les catholiques réactionnaires opposés au mariage pour tous, en constituent l’essentiel. Et leur influence, si elle reste encore très limitée, au moins en terme de recrutement, produit toutefois ses premiers effets. Les incidents gravissimes de Prunelli di Fiumor’bu sont ainsi à mettre au débit de cette mouvance putride.
Alors que faire ?
Depuis des années, notre organisation a tiré sur toutes les sonnettes d’alarme. Principalement en invitant le maximum de patriotes à réfléchir sur les orientations prises par les franges encore majoritaires du Mouvement National. Le phénomène le plus inquiétant est la dépolitisation du nationalisme et en corollaire son institutionnalisation. En voulant ratisser large et accéder aux responsabilités, les directions nationalistes traditionnelles ont passé toute une série de compromis avec des groupes politiques, pour peu que ceux-ci assaisonnent leurs propos de quelques vagues accents corsistes. Dans le même temps, ils se sont accordés à considérer que le libéralisme est un horizon indépassable, tout en voulant en amoindrir les excès. Il ne s’agit pas d’une capitulation en rase campagne. En se refusant à clarifier publiquement la nature économique et sociale de leurs démarches, les groupes et fractions révèlent leurs véritables fondements politiques. La mondialisation capitaliste et la domination sans partage qu’exerce ce système sur l’ensemble des sociétés, produit au quotidien son lot de précarité, d’injustice sociale, de ravages sur l’environnement et participe de l’acculturation de masse. La Corse n’échappe pas à ce maelström.
Quoi d’étonnant, quand face aux angoisses et au mal de vivre qu’engendre la dictature du marché, à ce que des milliers de chômeurs et de salariés soient à la recherche de solutions, si possible les plus immédiates ? Non le FN, ses transfuges du moment et les rats fascistes qui s’abritent dans les décombres du mouvement national et de la pseudo gauche, ne constituent en rien une alternative. Une autre voie est possible. Aujourd’hui plus que jamais , elle est vitale. La rupture avec le capitalisme et la réappropriation de l’intégralité de tous nos droits nationaux s’inscrivent pleinement dans la perspective du socialisme, autogestionnaire et démocratique, et donc dans la concrétisation de la lutte des classes. Ce chemin est jalonné par les indispensables luttes et mobilisations intermédiaires. L’antiracisme sans concession aucune, doit être le ferment de l’unité des travailleurs. Ce combat jette les bases d’une citoyenneté corse, juste parce qu’ouverte et fondée sur la perspective d’une société expurgée de toutes les formes d’aliénation et de domination.
C’est pourquoi les fascistes comme Estelle Massoni n’ont pas leur place dans la lutte émancipatrice du peuple corse.
Vandepoorte Serge. Militant de la Manca.