Ce n’est pas un ambassadeur officiel qui s’exprime ce samedi 11 juillet dans les locaux de Locu Teatrale. Toutefois il en a la posture. Antoine Sfeir (1) a répondu à l’invitation de l’association Corsica-Palestina et est donc venu discourir sur le printemps arabe et la situation en Palestine.
Une centaine de personnes se presse dans la salle. La moyenne d’âge est élevée. Venus de Vivariu, des proches du conférencier occupent un bon tiers des places. Ce dernier réside souvent dans la localité. Ceci expliquant en partie cela.
C’est à un des animateurs de Corsica-Palestina qu’échoit la tâche des présentations. Vincent Gaggini présente sobrement l’association et procède à un rappel des activités passées et des projets en cours. L’évocation du sort des pêcheurs de Gaza, 3500 sur une surface équivalente au golfe d’Aiacciu (alors que celui n’en compte plus que 70), décrit leur situation rendue encore plus précaire par les limitations de navigation imposée par la marine de guerre israélienne. Laquelle n’hésite pas à user de la mitrailleuse lourde si elle estime les pêcheurs palestiniens hors du périmètre unilatéralement découpé. Le militant associatif informe l’assemblée qu’au mois de septembre prochain, une initiative de solidarité sera formalisée avec les professionnels de la pêche palestiniens. Après avoir également rappelé les conditions d’un départ de bateau à partir de Calvi, bateau en partance pour les côtes palestiniennes, Vincent Gaggini en appelle aux adhésions (7 euros/mois) et à des dons afin de soutenir les actions. Il laisse ensuite la place à une personne qui, avant de donner la parole à Antoine Sfeir, évoque la figure médiatique et le rôle de rédacteur en chef des Cahiers de l’Orient de ce dernier.
L’intervention de l’écrivain, car il est également l’auteur de nombreux ouvrages, se décompose en deux principales parties. La première se veut résolument historique. Elle touche à la naissance de l’islam et au déroulement des faits postérieurs au décès de son prophète. L’éclairage donné, outre les aspects chronologiques, concerne une lecture du Coran et toutes les interprétations qui débouchent sur la naissance des trois grands courants : Sunnite, Chiite et Kharidjiste. Quelques grands traits caractéristiques des principaux courants de la religion musulmane sont abordés. Le propos se veut alors celui du pédagogue. Il s’agit de clarifier notamment les questions du djihad et de la polygamie. La signification avancée par Antoine Sfeir concernant le premier terme se résumant à « faites un effort dans le chemin de Dieu ». Sur la polygamie, le conférencier affirme que le Coran, prône la monogamie, et n’autorise que quelques exceptions. On comprend alors que le but de la démonstration est de souligner les interprétations présentées comme erronées des fractions intégristes, fondamentalistes et islamistes. Antoine Sfeir s’attachant à distinguer ces trois derniers termes qui ne revêtent pas, toujours selon ses propos, la signification communément admise en Occident. Le remodelage de l’empire Ottoman, à l’effondrement de celui-ci, est ensuite abordé. Le rôle des deux principales puissances, la France et la Grande Bretagne, dans le redécoupage de la région est alors explicité. Pour les Anglais, présentés comme pragmatiques, le sous-sol motive toutes les acrobaties dans le dessin des frontières. Les Français sont dépeints comme plus enclins à propager leur vision « civilisatrice ». En 1917, la jeune puissance américaine, porte toute son attention sur la région de l’actuelle Arabie Saoudite, en y dépêchant des géologues. Antoine Sfeir explique alors que le partenariat avec la royauté Wahhabite et le gouvernement des USA, débouche sur un contrat d’exclusivité dont les compagnies pétrolières américaines sont encore les bénéficiaires.
La seconde partie, glisse principalement sur le rôle de la France dans la région. Rôle passé et espoir d’un rôle à venir. Le « printemps arabe » est brièvement évoqué. La dénonciation de la politique occidentale en Libye, fustige une forme d’impérialisme qui de plus, se retire en laissant le pays en proie au chaos. Le conférencier ne regrette pas Kadhafi. Il souligne au passage les embardées de Sarkozy et les postures inconséquentes de Bernard Henri Lévy. Il concède toutefois que les peuples se sont réappropriés la parole et la rue.
Mais Antoine Sfeir est particulièrement sévère à l’encontre de la diplomatie française qu’il juge aujourd’hui inexistante, déplorant pour se faire sa perte d’influence, alors que, dit-il, elle fut la seule en des temps passés, à pouvoir dialoguer avec toutes les parties prenantes de la région. Le propos devient alors de plus en plus précis. Antoine Sfeir use du « nous » en abondance. « Nous » c’est la France dont il affirme qu’elle doit s’assigner une mission fondée sur la propagation des idées de démocratie et de citoyenneté, dont la laïcité est le fer de lance.
La portion congrue de cette intervention d’une heure et quart concerne la Palestine. Antoine Sfeir se bornant à dire que le conflit Israélo-Palestinien cristallise toutes les tensions de la région. Faute d’en dire beaucoup plus, il précise toutefois qu’Israël fait désormais partie du décor et qu’il convient d’en tenir compte. Cette partie de l’intervention se situe quasiment dans les propos liminaires.
La conclusion elle, porte sur le rôle de la France. Le « nous » se voulant plus qu’explicite.
Alors qu’elle était l’objectif de cette conférence ? La situation en Palestine ? Le déroulement du propos d’Antoine Sfeir ne donne qu’une place très minime à cette question. Le printemps arabe ? Le conférencier ne l’aborde que très succinctement et encore ne l’évoque t-il que pour préparer l’assistance au véritable cœur de son intervention : le rôle de la France.
Quand il use de la posture d’historien, c’est pour mieux souligner l’ineptie des intégristes musulmans. Accordons lui d’avoir cependant distingué l’intégrisme potentiellement présent dans les religions. Très subtilement, il scinde les questions de la spiritualité et de la religion. Affaire privée et personnelle pour la première. Fait authentiquement politique pour la seconde. Une orthodoxie déjà répertoriée qui l’autorise à revenir en boucle sur la France, dès lors dépeinte comme la terre de la laïcité, de la démocratie et de la citoyenneté…
Monsieur Sfeir s’est tranquillement exonéré de plusieurs précautions. Tout d’abord, il a objectivement détourné l’annonce de cette initiative de ses objectifs annoncés. Il est à espérer que les militants de Corsica-Palestina s’en seront entretenus avec lui.
Sans contradicteur il a pu faire appel à des références historiques, au moins en ce qui concerne l’Islam. Aucun auteur ni chercheur travaillant sur le sujet n’ont été cités. A moins de considérer les choses comme convenues d’emblée, force est de constater que les hypothèses et les nuances n’avaient pas leur place.
Ce « nous » s’affirmant comme bien Français, résonnait dans la salle comme une affirmation tenant peu compte des lieux et de l’éventuelle hétérogénéité du public. Nous n’étions pas tous des zélateurs inconditionnels de la France une et indivisible. Pas plus que nous n’étions tous, ce soir là, tout à fait persuadés du rôle « civilisateur » de la France et de son appareil d’Etat. Antoine Sfeir n’ignore rien de la Corse, ou pas grand chose. C’est un intellectuel, journaliste et écrivain. Son appartenance publique à des sphères se voulant éclairées, en fait un habitué de la complexité. Alors ?
Il a fait le choix délibéré de s’adresser à un public, en grande partie déjà conquis, sur fond de connivences tricolores. Qu’il puisse exprimer tout à loisir sa fibre pro-française est un droit incontestable. Mais compte tenu de l’objet initial de cette réunion, il s’est agi d’une forfaiture politique, peu soucieuse du sort de la Palestine, du passé et présent impérialiste de l’Etat français et des convictions plurielles d’une partie du public, dont une poignée de nationalistes corses faisaient néanmoins partie.
En conclusion provisoire, sachez M. Sfeir que nous ne sommes pas dupes. A Manca considère que la seule revendication qui puisse garantir les droits inaliénables des Arabes et des Juifs, demeure l’édification d’une seule entité, au sein de laquelle cohabiteraient deux nations. Vous avez dénoncé dans votre intervention, le non-respect des résolutions de l’ONU et du Conseil de sécurité par l’Etat Israélien. Vous ne vouliez pas aller jusqu’au bout du propos. Si les gouvernements Israéliens peuvent agir ainsi, c’est qu’ils sont soutenus par l’Occident. C’est qu’ils sont les gardiens de la région et de tous les intérêts capitalistes, y compris de certaines bourgeoisies arabes. Le terrorisme pratiqué par les pères fondateurs de l’Etat Israélien n’a rien a envier au Hamas ou à l’Etat islamique.
Vous avez soutenu la dictature tunisienne (2) et vous évitez de parler de la France en tant que puissance coloniale, dont les responsabilités historiques sont écrasantes.
Parmi vos détracteurs (3) (4), d’aucuns vous décrivent comme un agent d’influence de l’État français. Votre intervention du 11 juillet sur Aiacciu ne leur apporte aucun démenti.
A Manca
(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Sfeir
(2) https://www.youtube.com/watch?v=HKwSd1qy1cA
(3) http://nawaat.org/portail/2011/03/20/les-thuriferaires-libanais-de-la-dictature-ben-ali-sur-le-grill-tunisien/
(4) http://tokborni.blogspot.fr/2006/07/au-liban-une-mafiocratie-contre-son.html