– MOTION D’ORIENTATION STRATÉGIQUE –
(Adoptée le 18/04/2020)
POUR UNE CORSE ÉMANCIPÉE DANS UN CADRE CONFÉDÉRAL, ÉGALITAIRE ET SOLIDAIRE.
I-PRÉAMBULE
Malgré l’investissement de milliers d’hommes et de femmes dans la Lutte de Libération Nationale du peuple corse, cette stratégie a abouti sur le plan institutionnel à une gestion classique des institutions de la République française sans pour autant qu’il y ait eu une structuration politique propre (de type Cunsulta) assumée par les diverses directions nationalistes.
Sur le plan idéologique, on est passé du petit livre vert, via une tentative de promotion d’une voie corse au socialisme, à un régionalisme pleinement inscrit dans le libéralisme globalisé, teinté de positions humanistes sur le plan sociétal.
Force est de constater que cet aboutissement aurait très bien pu correspondre, tant sur le fond que sur la forme, à une tendance développée dans le cadre de n’importe quel parti traditionnel français socio-libéral ou néo-libéral.
Jamais les prédations contre le patrimoine collectif du peuple corse n’ont été aussi fortes qu’aujourd’hui. Jamais la bourgeoisie corse n’a eu une telle latitude dans sa tutelle économique sur notre territoire. Jamais les grandes surfaces, l’industrie du tourisme et le BTP n’ont autant eu d’effets sur la sociologie et le territoire de la Corse.
Nous pouvons considérer que l’État français a gagné cette bataille.
En effet, l’institutionnalisation de la lutte et l’action de la bourgeoise pour l’intégration de la Corse dans le marché capitaliste réalisent la finalisation du processus colonial en Corse.
Les militant(e)s sincères n’ont pas œuvré et/ou ne se sont pas sacrifié(e)s inutilement. Mais, cette impasse temporaire a des causes structurelles. Ces causes relèvent à la fois de la nature de la direction de la lutte et du rapport du peuple corse à la citoyenneté et à l’État.
La petite bourgeoisie s’étant emparée de la direction de la lutte, il est logique que son projet permette à des pans entiers du clan de la rejoindre, et dans le même temps, il est logique que ses orientations libérales ne correspondent pas aux intérêts de l’immense majorité du peuple corse : le monde du travail.
Dans le même temps, le discours nationaliste comme une fin en soi et un horizon indépassable, qui ne définit pas clairement une citoyenneté corse, ne s’extrait pas du modèle français qui confond nationalité et citoyenneté. Ce discours n’a pas permis de promouvoir une société corse solidaire. Ce nationalisme s’est souvent résumé à une somme de réactions face à la domination. Les limites de cette posture idéologique ont alimenté toutes les porosités à la base, où une confusion s’est installée entre un discours libérateur et un discours d’exclusion fondé sur le rejet de tout ce qui est différent.
Cette faillite au niveau des concepts et de l’idée de Cité continue à avoir des conséquences dont seuls les populistes, réactionnaires, intégristes religieux et néo-fascistes pourront tirer un bénéfice mortifère.
L’idée qui a consisté à penser que l’Europe héritée des traités de Maastricht et de Lisbonne a pu incarner un pouvoir politique supranational qui aurait permis aux peuples dominés de dépasser la confrontation avec les États dominants, relève d’une mauvaise interprétation des traités.
Le peuple catalan paye le prix fort de cette erreur d’appréciation : la Commission Européenne n’est rien d’autre qu’une instance de coordination des États constitués, dont l’objet est d’asseoir le dogme du libéralisme comme seul projet politique. La promotion d’une souveraineté publique dans les secteurs stratégiques et marchands est désormais actée comme étant anti-concurrentielle et illégale. Dans cette logique de dérégulation, les derniers secteurs publics (santé, éducation, protection sociale) pourraient être démantelés et privatisés. C’est ce qui se passe actuellement en France et dans ses colonies, du moins avant la pandémie actuelle qui ouvre un cycle nouveau.
Le peuple corse paye le prix fort de ces politiques néo-libérales. L’État forme aujourd’hui plus que jamais une bande armée distincte du peuple au service des seuls intérêts des capitalistes, en Corse comme ailleurs.
En Méditerranée, ces États impérialistes, anticipant sur le contrôle de ressources énergétiques qui vont se raréfier, ont contribué à dévaster des pays entiers en provoquant des centaines de milliers de morts. Cet impérialisme conduit à la fuite de réfugié(e)s vers l’Europe qui tire les bénéfices économiques de ces politiques prédatrices. Le peuple corse, au cœur du Mare Nostrum, ne peut construire une alternative en dehors de son espace géopolitique historique. L’avenir des peuples de Méditerranée se construit, par leur proximité, dans une logique d’interdépendance.
Enfin, les contradictions internes des capitalistes qui opposent souverainistes (Le Pen, Salvini, Johnson, etc.) et partisans d’un marché globalisé (Macron, Merkel, Conte, etc…) ne concernent pas les peuples et le Monde du travail. Leur violence de classe contre nos intérêts est identique. En revanche, les souverainistes useront de tous les moyens pour rétablir leur pouvoir national y compris si cela passe par la liquidation de nombreuses libertés individuelles et l’alliance avec les néo-fascistes. Face à ce péril, il est urgent de construire une autre Europe.
Dans ce contexte de faillite et de dangers, il est donc nécessaire de définir une orientation stratégique de rupture avec le capitalisme qui s’articulerait entre la volonté d’AGIR LOCAL tout en PENSANT GLOBAL.
II – ORIENTATION STRATÉGIQUE
Nous sommes convaincus que tant du point de vue des États constitués que des peuples en lutte, le modèle d’États-nations inventé par les classes possédantes (aristocratie, bourgeoisie) a fait faillite. Le nationalisme en tant que stratégie établissant la suprématie de la nation sur l’individu mène à une impasse politique pour les peuples. Bien différent est le sentiment national qui n’est ni révolutionnaire, ni réactionnaire, car il s’agît d’un sentiment humain résultant de réalités socio-historiques et de représentations socio-culturelles. C’est le substrat de toute communauté vivante comme peut l’être le peuple corse dans sa partie consciente. A ce titre, il doit pouvoir comme d’autres, exercer sans contraintes son droit à l’autodétermination. Il s’agît de droits démocratiques qui ne sont en rien opposables aux orientations économiques et sociales. Nous pensons que l’ensemble de ces droits sont indissociables les uns des autres. C’est là ce qui fait toute la différence entre le nationalisme d’une part et l’émancipation collective et individuelle d’autre part. C’est pourquoi A Manca, qui depuis sa création en 1998 ne s’est jamais définie comme nationaliste, inscrit désormais son action dans LA LUTTE D’ÉMANCIPATION DU PEUPLE CORSE.
A ) S’émanciper collectivement et individuellement en Corse
L’émancipation du peuple corse passe par la levée progressive de toutes les tutelles qui ne correspondent pas à nos intérêts immédiats.
Nous devons œuvrer à combattre la première des tutelles collectives, celle de l’État qui impose un processus d’assimilation culturelle et idéologique. La construction de toute alternative politique en Corse est par nature anti-impérialiste et anti-colonialiste.
La tutelle de classe exercée par la bourgeoisie corse à son seul profit doit être levé.
Nous sommes partisans d’une société sans classes, nous voulons promouvoir une société où les communes, et communautés à tous les échelons puissent débattre et décider des politiques à mener en termes d’aménagement, de préservation de la vie, de l’environnement et des choix économiques. Des choix librement exercés sans distinctions d’origines qui passent par l’exercice d’un autre modèle d’organisation politique démocratique et sociétale : LE MUNICIPALISME AUTOGESTIONNAIRE.
La tutelle des institutions représentatives de l’État fausse le débat démocratique et l’exercice de la souveraineté populaire. De trahisons en trahisons, de plus en plus de citoyens n’exercent plus le droit fondamental de pouvoir voter car ils partent du postulat que quelle que soit la personne déléguée à un poste institutionnel, soit elle ne mettra pas en œuvre son programme, soit celui-ci sera remis en cause sous les pressions des lobbys et réseaux. Les institutions étatiques ne sont pas démocratiques, et c’est pour cela qu’il faut progressivement les remplacer par nos propres institutions démocratiques et directes. C’est ce modèle qui existe et montre son efficacité dans une région pourtant en guerre, comme le Rojava kurde. Si ce modèle peut exister dans des conditions extrêmes et violentes, il sera donc d’autant plus facile à promouvoir dans des conditions apaisées.
Les institutions actuelles héritées du colonialisme doivent pouvoir permettre de mettre en œuvre, dans le cadre d’un PROGRAMME DE TRANSITION, des outils démocratiques et structurants pouvant progressivement aboutir à leur propre disparition.
Enfin, il ne saurait exister dans une société démocratique, la tutelle d’une communauté réelle ou fantasmée sur l’individu. L’individu doit pouvoir exercer des choix éclairés et développer librement son intelligence. C’est la raison pour laquelle nous sommes profondément attachés à la LIBERTÉ DE CONSCIENCE. Les croyances religieuses ne peuvent interférer sur les politiques publiques au service de tou(te)s. L’égalité entre les hommes et les femmes est un acquis imprescriptible. Les « naziunali » corses dont les représentations historiques sont légitimes, ne sauraient s’opposer à l’exercice d’une CITOYENNETÉ INCLUSIVE qui permette à celles et ceux œuvrant à la vie de ce pays, de prendre part au décisions les concernant. Est citoyen corse celui ou celle qui construit la Corse et qui participe à son émancipation. Les colons que nous combattons, quelles que soient leurs origines, sont par nature opposés à toutes les levées de ces tutelles et à tout projet d’émancipation car ils développent et mettent en œuvre un projet de domination.
B ) S’émanciper dans une Europe et une Méditerranée confédérale, égalitaire et solidaire.
Cette stratégie d’émancipation ne pourrait survivre dans une Europe aux mains du capital financier ni dans un cadre plus global.
L’Humanité ne peut survivre en Corse comme ailleurs à la destruction de son cadre de vie due à la surexploitation des ressources. La destruction de l’environnement revêt déjà des conséquences planétaires dont les effets s’avèrent accentués en Méditerranée.
La TRANSITION ÉCOLOGIQUE vitale passe par une coopération accrue des peuples bordant les toutes les rives de la Méditerranée. C’est donc bien dans une approche Euro-méditerranéenne que doit s’inscrire toute stratégie politique. Pour protéger les populations, maintenir les droits sociaux vitaux et sauvegarder les écosystèmes, de vastes outils de coopération transversaux doivent être mis en œuvre.
Cette coopération paritaire sans distinction d’origine doit s’appuyer sur des SYSTÈMES ORGANISATIONNELS ET DÉCISIONNELS AUTOGÉRÉS, à l’échelle des communes, des régions et des pays. Les outils numériques et les approches pédagogiques collaboratives peuvent permettre de faire évoluer rapidement les mentalités vers cette TRANSITION DÉMOCRATIQUE.
L’Europe et la Méditerranée que nous voulons doivent privilégier une transition écologique et sociale fondée sur une priorité donnée aux « communs ». Cette notion renvoie culturellement et structurellement à notre mémoire collective et aux principes d’auto- organisation villageoise, à l’exploitation collective des terres communes. On voit bien que le « penser global » est souvent compatible avec le « penser local ».
Nos espaces de vie et nos actions doivent êtres indissociables des idées de partage et de solidarité entre les citoyens. La notion de « communs » renvoie à une PROPRIÉTÉ COLLECTIVE DES RESSOURCES, étendue au monde du vivant, qui va au-delà de la dichotomie destructrice marché / État.
Nous savons que cette stratégie d’émancipation ne se décrète pas et impose une pédagogie à toute épreuve. Elle s’inscrit dans un processus révolutionnaire ambitieux.
Elle ne peut résulter d’une prise de conscience spontanée tant le conditionnement à la consommation et à l’individualisme pèse sur les structures sociales et sociétales, y compris en Corse.
Cette stratégie ne peut se satisfaire non plus d’îlots expérimentaux isolés, ne pouvant s’opposer frontalement à un effondrement global du capitalisme, qui entraînerait au moins une grande partie de l’Humanité vers sa disparition. Le temps presse. Aucune transition ne sera possible dans un monde détruit.
Nous pensons que dans les cadres très limités des institutions et des espaces de débat démocratique actuels, une bataille idéologique doit être menée.
Cette bataille doit servir à promouvoir un PLAN D’URGENCE POUR LA CORSE, qui définirait les premiers outils d’émancipation politiques, économiques, culturels et sociaux à mettre en place.
Soyons bien certains que sans moyens, aucune alternative ne peut se construire.
A MANCA