Les élections présidentielles aux Etats-Unis ont focalisé plus que d’ordinaire l’attention des opinions publiques au plan international.
C’est dans un climat particulièrement anxiogène dominé par l’effondrement du vivant sur Terre et la pandémie de Covid-19, que la polarisation du débat politique nord-américain a trouvé un écho hors-normes.
Le poids déterminant des Etats- Unis dans tout processus de survie de l’Humanité, la montée des populismes et la crise globale (sanitaire, sociale et économique) expliquent cette focalisation qui revêt des aspects légitimes.
JOE BIDEN, LES LIMITES D’UN COMPROMIS.
Dans la patrie du dollar, où le moindre candidat envisageant une fonction étatique ou fédérale, voit son accession au pouvoir conditionnée par sa capacité financière (qui se mesure en millions de dollars), la démocratie n’existe pas, car tous les autres candidats sont pratiquement invisibles. Dans ce contexte il ne fut pas étonnant de voir le multimillionnaire Joe Biden être soutenu par divers dirigeants des GAFAM, entre autres.
Il n’y a guère que dans le cerveau des supporters de Trump les plus délirants, que Joe Biden puisse être associé au communisme, au socialisme ou tout simplement à la gauche. Dans le Parti Démocrate, Biden appartient à l’aile centriste, ce qui, à titre de comparaison, le rapproche objectivement d’un membre modéré des Républicains en France. En 2011, l’homme avait été assez virulent contre le mouvement populaire anticapitaliste « Occupy Wall Street » en le comparant au « Tea party ». Il s’agissait là d’un exercice de style classique renvoyant dos-à-dos anticapitalistes et néo-fascistes, pour expliquer qu’il n’y a pas d’autres voies hors du dogme capitaliste.
Non, Biden n’est vraiment pas de gauche, mais il lui a fallu faire quelques concessions à l’aile gauche des démocrates et aux nombreux partisans du socialiste Bernie Sanders.
Ces quelques ajustements programmatiques sont principalement des mesures de régulation socio-économiques et de défense des libertés individuelles. Même si les forces progressistes ont voté massivement Biden pour faire barrage à Trump, ces quelques promesses ont également pesé dans la campagne ; la santé pour tous, l’accroissement des aides sociales, le renforcement de l’action sociale, du système éducatif, la protection des droits des femmes, des droits des minorités ethniques, des droits des LGBTI+, l’alignement sur l’accord de Paris, etc…
Certes, de ce fait, il s’avère que plusieurs dizaines de millions d’américains vont pouvoir respirer à nouveau. Mais l’avenir de ce pays demeure incertain. Si une partie de la classe ouvrière américaine a voté Trump, c’est que parmi eux, de nombreux employé.e.s des secteurs industriels ont fait les frais de la transition énergétique initiée par Barack Obama. Aucun plan de réembauche massive n’a accompagné cette marche vers le « capitalisme vert ». Ces laissés pour compte, chauffés à blanc par le discours économiste et protectionniste de Trump, ont été à nouveau lourdement touchés par les mesures de confinement sanitaires. Il n’y a aucune raison pour que Joe Biden se préoccupe davantage que ses prédécesseurs du sort des sacrifiés de la classe ouvrière américaine.
Sans le contrôle du Sénat, aucune politique de réformes ambitieuses ne pourra être menée. Joe Biden, toujours partisan d’un accord avec les Républicains modérés, réformera certainement au rabais.
L’espoir viendra peut-être du renforcement du nombre d’élus démocrates de gauche, point notable de ce scrutin.
Maintenir intactes les structures du capitalisme yankee, ne fera que retarder l’explosion à venir de la société américaine.
CHASSEZ LE POPULISTE, LE FASCISTE REVIENT AU GALOP.
Les quatre années de gouvernance national-populiste de Trump ont eu un impact considérable sur le plan local et international. Il faut distinguer clairement dans le Trumpisme, le vote économiste du vote fondamentaliste.
Sur le premier aspect, des capitalistes nationalistes, et des membres de la classe moyenne et de la classe ouvrière acquis au discours « America First », sont clairement motivés par un protectionnisme économique comme élément surdéterminant. Ils s’inscrivent dans le débat interne au capitalisme mondial entre la primauté du marché global et la défense des marchés nationaux. Dès lors qu’une partie de la bourgeoisie bascule vers le nationalisme, l’alliance avec d’autres forces d’extrême- droite est, et c’est un fait historiquement vérifié, inévitable. Dans cette optique, Trump est allé très loin.
En opposant sa parole à toute analyse rationnelle, Trump a rallié les secteurs les plus obscurantistes et radicaux de la société nord-américaine. L’adhésion de millions d’Américains à sa vision repose principalement sur un acte de foi, relevant donc du domaine de la croyance. Les mécanismes à l’œuvre dans ce processus sont similaires à tous les autres processus de radicalisation fondamentaliste. Il n’y a pas de grande différence, en dehors du contexte socio-historique et de la puissante muselière incarnée par l’appareil fédéral US, entre un évangéliste trumpiste, un taliban ou un membre de Daech : tous veulent imposer dans le champ politique et par la force leur grille de lecture religieuse au reste du monde.
Ce premier groupe de fondamentalistes est rejoint également par l’ensemble des suprématistes du « White Power », unis sur l’essentiel ; combattre violemment les autres ethnies présentes sur le territoire « national » et éliminer physiquement la gauche.
Enfin, et ce n’est pas une donnée moindre, toujours sur le registre des croyances, Trump a agrégé la plupart des sectes complotistes les plus délirantes, dont la puissante secte « Qanon » qui prétend lutter contre « un complot de pédophiles satanistes » dirigé par les démocrates. Cette théorie du complot est l’un des plus anciens modèles du genre. C’est d’ailleurs le même type d’argument qu’utilisa Philipe le Bel pour faire brûler les Templiers et voler leur or, il y a de cela sept siècles.
Trump a délibérément appelé ces forces à la « guerre pour les élections » pendant le dépouillement du scrutin, remettant en cause la légalité des institutions.
Bernie Sanders avait anticipé dès le mois de mars dernier ce que l’on peut qualifier, même s’il est de basse intensité, d’appel à la guerre civile. Le dirigeant socialiste avait décrit ce scénario en expliquant que si Trump était en perdition lors du scrutin, il opterait pour une tentative de coup d’Etat sur le modèle fasciste classique de la manipulation à partir de mensonges.
C’est exactement ce qui s’est passé.
Les deux membres de la secte Qanon armés de fusils d’assaut, qui ont tenté de prendre un bureau de vote à Philadelphie n’ont fait que répondre à cet appel.
La construction de ce conglomérat est dû en grande partie à l’action de spécialistes de la communication et des réseaux sociaux. Et c’est Steve Bannon qui a joué dans ce domaine un rôle primordial. Lui aussi, en appelant il y a 48 heures sur twitter à « décapiter » le ministre de la santé et le patron du FBI, a définitivement montré la véritable nature de son idéologie. Ce que d’aucun considèrent comme des populistes de droite, sont en réalité de véritables fascistes qui attendent le moment opportun pour agir. Et on ne peut exclure que sur la base d’un second mandat, Trump n’ait pas fait glisser progressivement les USA vers une société proche d’un Etat policier théocratique, comme Gilead, une société totalitaire fictive popularisée par une série télévisée à succès. Le nombre plus que conséquent de juges religieux ultraréactionnaires nommés durant le mandat Trump, ne laisse pas de place au doute.
Le modèle pré-fasciste Bannon-Trump est un produit adaptable à l’exportation. C’est Bannon qui a conseillé Bolsonaro pour son élection au Brésil, et c’est encore le même Bannon qui est venu prodiguer ses conseils en France au Rassemblement National de Le Pen, mais également en Italie à Matteo Salvini.
Cette idéologie mortifère n’est pas un copier-coller du nazisme ou du fascisme italien, mais un modèle high-tech du totalitarisme. Cette idéologie n’a aucun lien spirituel à la nature, mais est bien destinée à l’exploiter jusqu’à la dernière ressource disponible. En mettant en œuvre un national-capitalisme débridé, Trump et Bolsonaro ont directement contribué à accélérer l’effondrement du vivant sur Terre et ébranlé durablement notre futur.
QUEL FUTUR POUR L’AMERIQUE DE BIDEN ?
Joe Biden s’est engagé sur une plate-forme consensuelle qui n’est évidemment pas en rupture avec le capitalisme. Sans s’attaquer à la racine du mal, son plan d’action environnemental, social, sociétal et économique ne peut suffire à empêcher l’implosion de la société américaine.
La transition verte est une priorité annoncée, mais inféodée aux intérêts capitalistes, il est peu probable que l’administration Biden puisse réparer les dégâts colossaux du Trumpisme. Son discours ambigu vis-à-vis des familles américaines qui ont trouvé un emploi grâce à l’exploitation de gaz de schiste encouragé par Trump, n’augure rien de bon.
Sur le plan social, les aides pour les plus précaires, l’accès aux soins et le renforcement des moyens de l’action sociale sont évidemment des points positifs. Mais c’est surtout d’emploi et de stabilité économique dont ont besoin les classes populaires américaines. Aucune politique de création d’emploi massive, aucun New Deal n’est à l’ordre du jour.
Sur le plan sociétal, le renforcement du système éducatif et la défense des droits des femmes et de toutes les minorités va permettre de contrer l’offensive moyenâgeuse des fondamentalistes et complotistes. Mais cette résistance légitime encouragée par l’administration Biden risque aussi de radicaliser encore plus ces forces obscurantistes.
Il n’est pas dans l’intérêt de l’Humanité que la première puissance mondiale implose, mais la polarisation interne à la société nord-américaine a atteint une intensité plus observée depuis très longtemps. C’est bien une guerre civile de basse tension qui semble s’être installée. Le point de bascule est proche pour une confrontation violente et ce ne sont pas les politiques néolibérales des capitalistes qui seront de nature à apaiser les tensions. Nous verrons si les activistes de gauche qui ont réussi à mobiliser des millions de nouveaux électeurs, pèseront également de tout leur poids sur le plan d’action à venir. S’il y a un maigre espoir, il viendra peut-être de cette dynamique.
Wait and See.
A Manca.