Durant le milieu des années 80, la situation de l’extrême droite française était assez simple en Corse. S’appuyant sur une majorité de militants issus de familles d’anciens colons d’Algérie, la ligne était strictement nationaliste française et hostile à toute idée de question nationale en Corse.
Au plus fort de la répression, alors que les hélicoptères Puma de l’armée française déportaient des patriotes corses, Le Pen réclamait la peine de mort pour ceux qu’il appelait les terroristes corses. Cette ligne portée en Corse par les Biaggi, Arrighi, Celli et Holleindre s’est heurtée de plein fouet aux structures publiques et militaires de la lutte de libération nationale.
Cette opposition frontale a atteint son paroxysme avec la communication du FLNC relative à la définition « d’une communauté de destin » en 1988, et plus encore, lors de la publication du « Secondu Quaternu », projet de société porté par le FLNC Canal Historique et se positionnant pour une voie corse au socialisme. La suite est connue : Le Pen fut empêché d’atterrir dans l’île à l’initiative de nationalistes corses.
Dès lors, la dynamique populaire du mouvement national mais aussi l’ambigüité de certains dirigeants sur l’immigration, a contribué à marginaliser le Front National en Corse. Lors du premier tour des élections territoriales de 1998, le F.N ne pesait plus en Corse que 4,80 %.
Dans le même temps, sont apparues en France les premières scissions internes au F.N. La prise en compte des identités régionales constituent justement un des aspects du discours des scissionnistes mégrétistes (M.N.R) . Fin 2000 une pétition est lancée dans le but de réunifier le F.N et le M.NR le temps d’une consultation électorale intitulée l’appel des 335. En Corse il n’y eut qu’un seul et unique signataire : Thierry Biaggi. On a relevé aussi deux autres signataires et proches de l’intéressé, Alexandre Faria et Olivier Gnutti, qui oscillaient également entre Front National de la Jeunesse et M.N.R.
En 2004, Olivier Martinelli, directeur de cabinet de Jean Marie Le Pen, a décidé de rompre avec la ligne ‘bleu blanc rouge’ en Corse. Il a alors opté pour l’introduction d’un nouveau discours, tout à la fois et à dessein source de confusions et d’ambiguïtés, en déclarant notamment : « Je suis un véritable nationaliste corse » et en décrivant les Corses comme « Le peuple corse, un petit peuple menacé par l’immigration ». C’est donc bien au milieu des années 2000 que la pénétration de l’extrême droite française (F.N et satellites) dans la base du mouvement national corse a pris son essor. Martinelli a également publiquement soutenu les « clandestini corsi ». Cette stratégie inscrite dans la durée s’est concentrée sur les organisations de masse multiformes (S.T.C, A.P.C, Clubs de Supporters).
On a vu naitre au début des années 2010 des embryons d’organisations autonomes sur une ligne d’extrême droite identitaire. La première initiative revient à Thierry Biaggi et ses amis, qui ont crée le blog Corsica Patria Nostra et qui sont proches idéologiquement du Mouvement Social Européen (MSE). A l’origine cette mouvance est issue d’une frange nationale socialiste française animée par Faria et Gnutti, autour des cercles Rébellion et qui a aboutit à la création d’Unité Radicale (dissoute après la tentative de tir à la carabine à plomb contre J.Chirac).
La mouvance MSE a réussi à fédérer divers éléments révolutionnaires néo-nazis ou néo-fascistes dans divers pays, comme Casapound en Italie et Serge Ayoub en France, qui sera jugé prochainement pour des actions violentes.
Comme l’indique le journal La Repubblica, une délégation de Corsica Patria Nostra a été accueillie par ces organisations à Rome les 25 et 26 février 2012.
Ces groupes ont quelques divergences mineures mais se retrouvent sur l’essentiel en vue de préparer patiemment une confrontation violente avec le système capitaliste et tous les mondialistes ennemis des identités nationales. Dans leur logique proche de celle des sections d’assaut (S.A) dans l’Allemagne nazie des années 30, les immigrés et défenseurs des droits de l’Homme représentent des cœurs de cible. Toutefois, ils n’hésitent pas à essayer de s’en prendre quand il le peuvent aux « nationalistes bobos » et autres « gauchiasses » selon la terminologie dans ces milieux. Il faut noter que les provocations sur le terrain ont déjà commencé.
Sans faire un inventaire exhaustif de tous les micro-groupes investis sur internet, attardons -nous sur un autre groupe apparu sur le terrain en 2015, soit Viligenza Naziunale Corsa (VNC). La principale animatrice de ce groupe, Solange Massoni est apparue sur la scène politique insulaire au cours d’un rassemblement qui a eu lieu à Bastia le lendemain même de l’attentat du Bataclan à Paris. Le but de l’opération est alors de créer l’amalgame entre les réfugiés de Syrie et les terroristes islamiques.
Plus intéressantes sont ses proximités idéologiques avec la fondation d’extrême droite Polemia. Elle est ainsi invitée à s’exprimer au 2ème forum de la dissidence co-animé par Jean Yves Le Gallou. Pour mémoire, Le Gallou a été président du groupe F.N et puis M.N.R du conseil régional d’île de France de 1986 à 2004. Il s’est avéré aussi proche d’Olivier Martinelli au Club de l’Horloge.
Pour compléter son profil, il faut savoir qu’il est le théoricien de référence de la notion de « préférence nationale » et par extension du slogan « les nôtres d’abord ».
Enfin, le tableau ne serait pas achevé sans souligner le choix de son avocat dans l’affaire de Prunelli di Fiumorbu, Phillipe Chansay-Willmotte. Cet islamophobe radical et en rupture avec le Parti Populaire (F.N Belge) dont il a été militant.
Il semble dès lors possible d’affirmer clairement que les principaux animateurs de l’extrême droite identitaire en Corse ont pour point commun de se trouver tous en relations avec d’anciens cadres du F.N, ayant scissionné sur des positions plus radicales.
Pour l’heure, leur divergences internes au sujet des alliances européennes ne suscitent que des débats qui n’entameront pas leur unité d’action.
Ces liens et cette proximité de vue leur ont permis de se retrouver naturellement au sein de Leia Naziunale après la dissolution de VNC. Le site internet de Leia Naziunale est d’ailleurs la propriété de Thierry Biaggi.
Pour autant, bien qu’elle s’en défende, cette extrême droite identitaire locale continue à jouer les idiots utiles pour le F.N. Par exemple, l’éphémère Cercle Petru Rocca a constitué un tremplin au bénéfice de Christophe Canioni qui a pu ainsi s’imposer dans le F.N de Haute Corse, et cela face aux militants historiques.
Au-delà des options tactiques prises ponctuellement, certains militant(e)s d’a Leia Naziunale conservent toute leur amitié à l’élu du Front National qui, dans tous les cas de figure, continue à tirer politiquement les marrons du feu. C’est bien le F.N qui profite de la sale besogne faite par ces radicaux sur les réseaux sociaux comme dans nos rues.
Le capitalisme européen n’a pour l’instant pas besoin de ces milices. Mais elles peuvent à terme se révéler utiles auprès de la frange identitaire et protectionniste de la Bourgeoisie.
Sans sur dimensionner la véritable surface politique de ces groupes en Corse, on ne peut toutefois les réduire à des simples satellites du Front National chargés de siphonner des voix au mouvement national dans les quartiers populaires. Leur dangerosité politique vient principalement de leur capacité à :
– générer des incidents et des attroupements sur la base d’intoxications haineuses largement répandues sur les réseaux sociaux.
– Instrumentaliser les plus jeunes et les plus fragiles dans le but de produire des actions violentes isolées, quitte à provoquer l’irréparable.
Des drames peuvent être évités si les militant(e)s associatifs, syndicaux et politiques prennent la mesure du péril et se mobilisent dès maintenant contre cette menace fasciste. Une première action concrète qui s’offre à tous et toutes est la mobilisation du 17 janvier prochain devant le palais de justice de Bastia pour soutenir la LDH.
A MANCA